Beau, Beauté – Schön, Schönheit (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Beau (das Schöne) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon. Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.
Interrogez le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l’archétype du beau en essence, au to kalon.
J’assistais un jour à une tragédie auprès d’un philosophe. « Que cela est beau! disait-il. — Que trouvez-vous là de beau? lui dis-je. — C’est, dit-il, que l’auteur a atteint son but. » Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien. « Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle médecine! » Il comprit qu’on ne peut pas dire qu’une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de beauté, il faut qu’elle vous cause de l’admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c’était là le to kalon, le beau.
Nous fîmes un voyage en Angleterre: on y joua la même pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. « Oh, oh! dit-il, le to kalon n’est pas le même pour les Anglais et pour les Français. Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l’est pas à Pékin; et il s’épargna la peine de composer un long traité sur le beau.

Apis – der Stier (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Apis aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Le boeuf Apis était-il adoré à Memphis comme dieu, comme symbole, ou comme boeuf? Il est à croire que les fanatiques voyaient en lui un dieu, les sages un simple symbole, et que le sot peuple adorait le boeuf. Cambyse fit-il bien, quand il eut conquis l’Égypte, de tuer ce boeuf de sa main? Pourquoi non? Il faisait voir aux imbéciles qu’on pouvait mettre leur dieu à la broche, sans que la nature s’armât pour venger ce sacrilège. On a fort vanté les Égyptiens. Je ne connais guère de peuple plus misérable; il faut qu’il y ait toujours eu dans leur caractère et dans leur gouvernement un vice radical qui en a toujours fait de vils esclaves. Je consens que dans les temps presque inconnus ils aient conquis la terre; mais dans les temps de l’histoire ils ont été subjugués par tous ceux qui ont voulu s’en donner la peine, par les Assyriens, par les Grecs, par les Romains, par les Arabes, par les Mamelucks, par les Turcs, enfin par tout le monde, excepté par nos croisés, attendu que ceux-ci étaient plus malavisés que les Égyptiens n’étaient lâches. Ce fut la milice des Mamelucks qui battit les Français. Il n’y a peut-être que deux choses passables dans cette nation: la première, que ceux qui adoraient un boeuf ne voulurent jamais contraindre ceux qui adoraient un singe à changer de religion; la seconde, qu’ils ont fait toujours éclore des poulets dans des fours.
On vante leurs pyramides; mais ce sont des monuments d’un peuple esclave. Il faut bien qu’on y ait fait travailler toute la nation, sans quoi on n’aurait pu venir à bout d’élever ces vilaines masses. A quoi servaient-elles? À conserver dans une petite chambre la momie de quelque prince, ou de quelque gouverneur, ou de quelque intendant, que son âme devait ranimer au bout de mille ans. Mais s’ils espéraient cette résurrection des corps pourquoi leur ôter la cervelle avant de les embaumer? Les Égyptiens devaient-ils ressusciter sans cervelle?

Ange – Engel (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Ange (Engel) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Ange, en grec, envoyé; on n’en sera guère plus instruit quand on saura que les Perses avaient des Péris, les Hébreux des Malakim, les Grecs leurs Daimonoi. Mais ce qui nous instruira peut-être davantage, ce sera qu’une des premières idées des hommes a toujours été de placer des êtres intermédiaires entre la Divinité et nous; ce sont ces démons, ces génies que l’antiquité inventa; l’homme fit toujours les dieux à son image. On voyait les princes signifier leurs ordres par des messagers, donc la Divinité envoie aussi ses courriers: Mercure, Iris, étaient des courriers, des messagers.
Les Hébreux, ce seul peuple conduit par la Divinité même, ne donnèrent point d’abord de noms aux anges que Dieu daignait enfin leur envoyer; ils empruntèrent les noms que leur donnaient les Chaldéens, quand la nation juive fut captive dans la Babylonie; Michel et Gabriel sont nommés pour la première fois par Daniel, esclave chez ces peuples. Le Juif Tobie qui vivait à Ninive, connut l’ange Raphaël qui voyagea avec son fils pour l’aider à retirer de l’argent que lui devait le Juif Gabaël.
Dans les lois des Juifs, c’est-à-dire dans le Lévitique et le Deutéronome, il n’est pas fait la moindre mention de l’existence des anges, à plus forte raison de leur culte; aussi les saducéens ne croyaient-ils point aux anges.
Mais dans les histoires des Juifs il en est beaucoup parlé. Ces anges étaient corporels; ils avaient des ailes au dos, comme les gentils feignirent que Mercure en avait aux talons; quelquefois ils cachaient leurs ailes sous leurs vêtements. Comment n’auraient-ils pas eu de corps, puisqu’ils buvaient et mangeaient, et que les habitants de Sodome voulurent commettre le péché de pédérastie avec les anges qui allèrent chez Loth?
L’ancienne tradition juive, selon Ben Maimon, admet dix degrés, dix ordres d’anges. 1. Les chaios acodesh, purs, saints. 2. Les ofamin, rapides. 3. Les oralim, les forts. 4. Les chasmalim. les flammes. 5. Les séraphim, étincelles. 6. Les malakim, anges, messagers. députés. 7. Les eloim, les dieux ou juges. 8. Les ben eloim, enfants des dieux. 9. Cherubim. images. 10. Ychim, les animés.
L’histoire de la chute des anges ne se trouve point dans les livres de Moïse; le premier témoignage qu’on en rapporte est celui du prophète Isaïe, qui, apostrophant le roi de Babylone, s’écrie(6): « Qu’est devenu l’exacteur des tributs? les sapins et les cèdres se réjouissent de sa chute; comment es-tu tombé du ciel, ô Hellel, étoile du matin? » On a traduit cet Hellel par le mot latin Lucifer; et ensuite, par un sens allégorique, on a donné le nom de Lucifer au prince des anges qui firent la guerre dans le ciel; et enfin ce nom, qui signifie phosphore et aurore, est devenu le nom du diable.
La religion chrétienne est fondée sur la chute des anges. Ceux qui se révoltèrent furent précipités des sphères qu’ils habitaient dans l’enfer au centre de la terre, et devinrent diables. Un diable tenta Ève sous la figure d’un serpent, et damna le genre humain. Jésus vint racheter le genre humain, et triompher du diable, qui nous tente encore. Cependant cette tradition fondamentale ne se trouve que dans le livre apocryphe d’Énoch, et encore y est-elle d’une manière toute différente de la tradition reçue.
Saint Augustin, dans sa cent neuvième lettre, ne fait nulle difficulté d’attribuer des corps déliés et agiles aux bons et aux mauvais anges. Le pape Grégoire Ier a réduit à neuf choeurs, à neuf hiérarchies ou ordres, les dix choeurs des anges reconnus par les Juifs.
Les Juifs avaient dans leur temple deux chérubins ayant chacun deux têtes, l’une de boeuf et l’autre d’aigle, avec six ailes. Nous les peignons aujourd’hui sous l’image d’une tête volante, ayant deux petites ailes au-dessous des oreilles. Nous peignons les anges et les archanges sous la figure de jeunes gens, ayant deux ailes au clos. A l’égard des trônes et des dominations, on ne s’est pas encore avisé de les peindre.
Saint Thomas, à la question cviii, art. 2, dit que les trônes sont aussi près de Dieu que les chérubins et les séraphins parce que c’est sur eux que Dieu est assis. Scot a compté mille millions d’anges. L’ancienne mythologie des bons et des mauvais génies ayant passé de l’Orient en Grèce et à Rome, nous consacrâmes cette opinion, en admettant pour chaque homme un bon et un mauvais ange, dont l’un l’assiste, et l’autre lui nuit depuis sa naissance jusqu’à sa mort: mais on ne sait pas encore si ces bons et mauvais anges passent continuellement de leur poste à un autre, ou s’ils sont relevés par d’autres. Consultez sur cet article la Somme de saint Thomas.
On ne sait pas précisément où les anges se tiennent, si c’est dans l’air, dans le vide, dans les planètes: Dieu n’a pas voulu que nous en fussions instruits.

Amour nommé socratique – Homosexualität (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Amour nommé socratique (Homosexualität) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Comment s’est-il pu faire qu’un vice destructeur du genre humain s’il était général, qu’un attentat infâme contre la nature, soit pourtant si naturel? Il paraît être le dernier degré de la corruption réfléchie; et cependant il est le partage ordinaire de ceux qui n’ont pas encore eu le temps d’être corrompus. Il est entré dans des coeurs tout neufs, qui n’ont connu encore ni l’ambition, ni la fraude, ni la soif des richesses. C’est la jeunesse aveugle qui, par un instinct mal démêlé, se précipite dans ce désordre au sortir de l’enfance.

Le penchant des deux sexes l’un pour l’autre se déclare de bonne heure; mais quoi qu’on ait dit des Africaines et des femmes de l’Asie méridionale, ce penchant est généralement beaucoup plus fort dans l’homme que dans la femme; c’est une loi que la nature a établie pour tous les animaux; c’est toujours le mâle qui attaque la femelle.

Les jeunes mâles de notre espèce, élevés ensemble, sentant cette force que la nature commence à déployer en eux, et ne trouvant point l’objet naturel de leur instinct, se rejettent sur ce qui lui ressemble. Souvent un jeune garçon, par la fraîcheur de son teint, par l’éclat de ses couleurs, et par la douceur de ses yeux, ressemble pendant deux ou trois ans à une belle fille; si on l’aime, c’est parce que la nature se méprend; on rend hommage au sexe, en s’attachant à ce qui en a les beautés; et quand l’âge a fait évanouir cette ressemblance, la méprise cesse.

. . . . . . . . . . . . . . . . . Citraque juventam Aetatis breve ver et primos carpere flores.

On sait assez que cette méprise de la nature est beaucoup plus commune dans les climats doux que dans les glaces du Septentrion, parce que le sang y est plus allumé, et l’occasion plus fréquente: aussi ce qui ne paraît qu’une faiblesse dans le jeune Alcibiade, est une abomination dégoûtante dans un matelot hollandais et dans un vivandier moscovite.

Je ne peux souffrir qu’on prétende que les Grecs ont autorisé cette licence. On cite le législateur Selon, parce qu’il a dit en deux mauvais vers:

Tu chériras un beau garçon, Tant qu’il n’aura barbe au menton.

Mais en bonne foi, Solon était-il législateur quand il fit ces deux vers ridicules? Il était jeune alors, et quand le débauché fut devenu sage, il ne mit point une telle infamie parmi les lois de sa république. Accusera-t-on Théodore de Bèze d’avoir prêché la pédérastie dans son Église, parce que dans sa jeunesse il fit des vers pour le jeune Candide, et qu’il dit:

« Amplector hunc et illam. »

On abuse du texte de Plutarque, qui dans ses bavarderies, au Dialogue de l’amour, fait dire à un interlocuteur que les femmes ne sont pas dignes du véritable amour;mais un autre interlocuteur soutient le parti des femmes comme il le doit. On a pris l’objection pour la décision.

Il est certain, autant que la science de l’antiquité peut l’être, que l’amour socratique n’est point un amour infâme: c’est ce nom d’amour qui a trompé. Ce qu’on appelait les amants d’un jeune homme étaient précisément ce que sont parmi nous les menins de nos princes, ce qu’étaient les enfants d’honneur, des jeunes gens attachés à l’éducation d’un enfant distingué, partageant les mêmes études, les mêmes travaux militaires; institution guerrière et sainte dont on abusa comme des fêtes nocturnes et des orgies.

La troupe des amants instituée par Laïus était une troupe invincible de jeunes guerriers engagés par serment à donner leur vie les uns pour les autres; et c’est ce que la discipline antique a jamais eu de plus beau.

Sextus Empiricus et d’autres ont beau dire que ce vice était recommandé par les lois de la Perse. Qu’ils citent le texte de la loi; qu’ils montrent le code des Persans et si cette abomination s’y trouvait, je ne la croirais pas; je dirais que la chose n’est pas vraie, par la raison qu’elle est impossible. Non, il n’est pas dans la nature humaine de faire une loi qui contredit et qui outrage la nature, une loi qui anéantirait le genre humain si elle était observée à la lettre. Mais moi je vous montrerai l’ancienne loi des Persans, rédigée dans le Sadder. Il est dit, à l’article ou porte 9, qu’il n’y a point de plus grand péché. C’est en vain qu’un écrivain moderne a voulu justifier Sextus Empiricus et la pédérastie; les lois de Zoroastre, qu’il ne connaissait pas, sont un témoignage irréprochable que ce vice ne fut jamais recommandé par les Perses. C’est comme si on disait qu’il est recommandé par les Turcs. Ils le commettent hardiment; mais les lois le punissent. Que de gens ont pris des usages honteux et tolérés dans un pays pour les lois du pays! Sextus Empiricus, qui doutait de tout, devait bien douter de cette jurisprudence. S’il eût vécu de nos jours, et qu’il eût vu deux ou trois jeunes jésuites abuser de quelques écoliers, aurait-il eu droit de dire que ce jeu leur est permis par les constitutions d’Ignace de Loyola?

L’amour des garçons était si commun à Rome, qu’on ne s’avisait pas de punir cette turpitude, dans laquelle presque tout le monde donnait tête baissée. Octave-Auguste ce meurtrier débauché et poltron, qui osa exiler Ovide, trouva très bon que Virgile chantât Alexis; Horace, son autre favori, faisait de petites odes pour Ligurinus. Horace, qui louait Auguste d’avoir réformé les moeurs, proposait également dans ses satires un garçon et une fille; mais l’ancienne loi Scantinia, qui défend la pédérastie, subsista toujours: l’empereur Philippe la remit en vigueur, et chassa de Rome les petits garçons qui faisaient le métier. S’il y eut des écoliers spirituels et licencieux comme Pétrone, Rome eut des professeurs tels que Quintilien. Voyez quelles précautions il apporte dans le chapitre du Précepteur pour conserver la pureté de la première jeunesse: « Cavendum non solum crimine turpitudinis, sed etiam suspicione. » Enfin je ne crois pas qu’il y ait jamais eu aucune nation policée qui ait fait des lois contre les moeurs.

Amour propre – Eigenliebe (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Amour propre (Eigenliebe) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Un gueux des environs de Madrid demandait noblement l’aumône; un passant lui dit: « N’êtes-vous pas honteux de faire ce métier, infâme quand vous pouvez travailler? — Monsieur, répondit le mendiant, je vous demande de l’argent et non pas des conseils; puis il lui tourna le dos en conservant toute la dignité castillane. C’était un fier gueux que ce seigneur, sa vanité était blessée pour peu de chose. Il demandait l’aumône par amour de soi-même, et ne souffrait pas la réprimande par un autre amour de soi-même.

Un missionnaire voyageant dans l’Inde rencontra un fakir chargé de chaînes, nu comme un singe, couché sur le ventre, et se faisant fouetter pour les péchés de ses compatriotes les Indiens, qui lui donnaient quelques liards du pays. « Quel renoncement à soi-même! disait un des spectateurs. — Renoncement à moi-même! reprit le fakir; apprenez que je ne me fais fesser dans ce monde que pour vous le rendre dans l’autre, quand vous serez chevaux et moi cavalier. »

Ceux qui ont dit que l’amour de nous-mêmes est la base de tous nos sentiments et de toutes nos actions ont donc eu grande raison dans l’Inde, en Espagne, et dans toute la terre habitable: et comme on n’écrit point pour prouver aux hommes qu’ils ont un visage, il n’est pas besoin de leur prouver qu’ils ont de l’amour-propre. Cet amour-propre est l’instrument de notre conservation; il ressemble à l’instrument de la perpétuité de l’espèce: il est nécessaire, il nous est cher, il nous fait plaisir, et il faut le cacher.

Amour – Liebe (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Amour aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Amor omnibus idem. C’est l’étoffe de la nature que l’imagination a brodée. Veux-tu avoir une idée de l’amour? Vois les moineaux de ton jardin; vois tes pigeons; contemple le taureau qu’on amène à ta génisse; regarde ce fier cheval que deux de ses valets conduisent à la cavale paisible qui l’attend, et qui détourne sa queue pour le recevoir; vois comme ses yeux étincellent; entends ses hennissements; contemple ces sauts, ces courbettes, ces oreilles dressées, cette bouche qui s’ouvre avec de petites convulsions, ces narines qui s’enflent, ce souffle enflammé qui en sort, ces crins qui se relèvent et qui flottent, ce mouvement impétueux dont il s’élance sur l’objet que la nature lui a destiné: mais n’en sois point jaloux, et songe aux avantages de l’espèce humaine; ils compensent en amour tous ceux que la nature a donnés aux animaux, force, beauté, légèreté, rapidité.

Il y a même des animaux qui ne connaissent point la jouissance. Les poissons écaillés sont privés de cette douceur: la femelle jette sur la vase des millions d’oeufs; le mâle qui les rencontre passe sur eux, et les féconde par sa semence, sans se mettre en peine à quelle femelle ils appartiennent.

La plupart des animaux qui s’accouplent ne goûtent de plaisir que par un seul sens; et dès que cet appétit est satisfait, tout est éteint. Aucun animal, hors toi, ne connaît les embrassements; tout ton corps est sensible; tes lèvres surtout jouissent d’une volupté que rien ne lasse; et ce plaisir n’appartient qu’à ton espèce enfin tu peux dans tous les temps te livrer à l’amour, et les animaux n’ont qu’un temps marqué. Si tu réfléchis sur ces prééminences, tu diras avec le comte de Rochester: « L’amour, dans un pays d’athées, ferait adorer la Divinité.»

Comme les hommes ont reçu le don de perfectionner tout ce que la nature leur accorde, ils ont perfectionné l’amour. La propreté, le soin de soi-même, en rendant la peau plus délicate, augmentent le plaisir du tact; et l’attention sur sa santé rend les organes de la volupté plus sensibles.

Tous les autres sentiments entrent ensuite dans celui de l’amour, comme des métaux qui s’amalgament avec l’or: l’amitié, l’estime, viennent au secours; les talents du corps et de l’esprit sont encore de nouvelles chaînes.

Nam facis ipsa suis interdum faemina factis.
Morigerisque modis, et mundo corpore culta,
Ut facile insuescat secum vir degere vitam.
(Lucrèce, IV, 1274-76.)
On peut, sans être belle, être longtemps aimable. L’attention, le goût, les soins, la propreté, Un esprit naturel, un air toujours affable, Donnent à la laideur les traits de la beauté.
Voilà ce que tu as au-dessus des animaux; mais si tu goûtes tant de plaisirs qu’ils ignorent, que de chagrins aussi dont les bêtes n’ont point d’idée! Ce qu’il y a d’affreux pour toi, c’est que la nature a empoisonné dans les trois quarts de la terre les plaisirs de l’amour et les sources de la vie par une maladie épouvantable à laquelle l’homme seul est sujet, et qui n’infecte que chez lui les organes de la génération. Il n’en est point de cette peste comme de tant d’autres maladies qui sont la suite de nos excès. Ce n’est point la débauche qui l’a introduite dans le monde. Les Phryné, les Laïs, les Flora, les Messaline, n’en furent point attaquées; elle est née dans des îles où les hommes vivaient dans l’innocence, et de là elle s’est répandue dans l’ancien monde.
Si jamais on a pu accuser la nature de mépriser son ouvrage, de contredire son plan, d’agir contre ses vues, c’est dans ce fléau détestable qui a souillé la terre d’horreur et de turpitude. Est-ce là le meilleur des mondes possibles? Eh quoi; si César, Antoine, Octave, n’ont point eu cette maladie, n’était-il pas possible qu’elle ne fît point mourir François Ier? Non, dit-on, les choses étaient ainsi ordonnées pour le mieux: je le veux croire, mais cela est dur.

Amitié – Freundschaft (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Amitié aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 wieder.


C’est un contrat tacite entre deux personnes sensibles et vertueuses. Je dis sensibles, car un moine, un solitaire peut n’être point méchant et vivre sans connaître l’amitié. Je dis vertueuses, car les méchants n’ont que des complices; les voluptueux ont des compagnons de débauche; les intéressés ont des associés; les politiques assemblent des factieux; le commun des hommes oisifs a des liaisons; les princes ont des courtisans; les hommes vertueux ont seuls des amis. Céthégus était le complice de Catilina, et Mécène le courtisan d’Octave; mais Cicéron était l’ami d’Atticus.

Que porte ce contrat entre deux âmes tendres et honnêtes? les obligations en sont plus fortes et plus faibles, selon les degrés de sensibilité et le nombre des services rendus, etc.

L’enthousiasme de l’amitié a été plus fort chez les Grecs et chez les Arabes que chez nous. Les contes que ces peuples ont imaginés sur l’amitié sont admirables; nous n’en avons point de pareils. Nous sommes un peu secs en tout. Je ne vois nul grand trait d’amitié dans nos romans, dans nos histoires, sur notre théâtre. Il n’est parlé d’amitié chez les Juifs qu’entre Jonathas et David. Il est dit que David l’aimait d’un amour plus fort que celui des femmes: mais aussi il est dit que David, après la mort de son ami, dépouilla Miphibozeth son fils, et le fit mourir. L’amitié était un point de religion et de législation chez les Grecs. Les Thébains avaient le régiment des amants: beau régiment! quelques-uns l’ont pris pour un régiment de non-conformistes, ils se trompent c’est prendre un accessoire honteux pour le principal honnête. L’amitié chez les Grecs était prescrite par la loi et la religion. La pédérastie était malheureusement tolérée par les moeurs: il ne faut pas imputer à la loi des abus indignes. .

Abraham – (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Abraham aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Abraham est un de ces noms célèbres dans l’Asie Mineure et dans l’Arabie, comme Thaut chez les Égyptiens, le premier Zoroastre dans la Perse, Hercule en Grèce, Orphée dans la Thrace, Odin chez les nations septentrionales, et tant d’autres plus connus par leur célébrité que par une histoire bien avérée. Je ne parle ici que de l’histoire profane; car pour celle des Juifs, nos maîtres et nos ennemis que nous croyons et que nous détestons, comme l’histoire de ce peuple a été visiblement écrite par le Saint-Esprit, nous avons pour elle les sentiments que nous devons avoir. Nous ne nous adressons ici qu’aux Arabes; ils se vantent de descendre d’Abraham par Ismaël; ils croient que ce patriarche bâtit la Mecque, et qu’il mourut dans cette ville. Le fait est que la race d’Ismaël a été infiniment plus favorisée de Dieu que la race de Jacob. L’une et l’autre race a produit à la vérité des voleurs; mais les voleurs arabes ont été prodigieusement supérieurs aux voleurs juifs. Les descendants de Jacob ne conquirent qu’un très petit pays, qu’ils ont perdu; et les descendants d’Ismaël ont conquis une partie de l’Asie, de l’Europe, et de l’Afrique, ont établi un empire plus vaste que celui des Romains, et ont chassé les Juifs de leurs cavernes, qu’ils appelaient la terre de promission.

A ne juger des choses que par les exemples de nos histoires modernes, il serait assez difficile qu’Abraham eût été le père de deux nations si différentes; on nous dit qu’il était né en Chaldée, et qu’il était fils d’un pauvre potier, qui gagnait sa vie à faire de petites idoles de terre. Il n’est guère vraisemblable que le fils de ce potier soit allé fonder la Mecque à quatre cents lieues de là sous le tropique, en passant par des déserts impraticables. S’il fut un conquérant, il s’adressa sans doute au beau pays de l’Assyrie; et s’il ne fut qu’un pauvre homme, comme on nous le dépeint, il n’a pas fondé des royaumes hors de chez lui.

La Genèse rapporte qu’il avait soixante et quinze ans lorsqu’il sortit du pays de Haran après la mort de son père Tharé le potier: mais la même Genèse dit aussi que Tharé ayant engendré Abraham à soixante et dix ans, ce Tharé vécut jusqu’à deux cent cinq ans, et ensuite qu’Abraham partit de Haran; ce qui semble dire que ce fut après la mort de son père. Ou l’auteur sait bien mal disposer une narration, ou il est clair par la Genèse même qu’Abraham était âgé de cent trente-cinq ans quand il quitta la Mésopotamie. Il alla d’un pays qu’on nomme idolâtre dans un autre pays idolâtre nommé Sichem en Palestine. Pourquoi y alla-t-il? pourquoi quitta-t-il les bords fertiles de l’Euphrate pour une contrée aussi éloignée, aussi stérile, aussi pierreuse que celle de Sichem? La langue chaldéenne devait être fort différente de celle de Sichem, ce n’était point un lieu de commerce; Sichem est éloigné de la Chaldée de plus de cent lieues; il faut passer des déserts pour y arriver; mais Dieu voulait qu’il fit ce voyage, il voulait lui montrer la terre que devaient occuper ses descendants plusieurs siècles après lui. L’esprit humain comprend avec peine les raisons d’un tel voyage.

A peine est-il arrivé dans le petit pays montagneux de Sichem que la famine l’en fait sortir. Il va en Égypte avec sa femme chercher de quoi vivre. Il y a deux cents lieues de Sichem à Memphis; est-il naturel qu’on aille demander du blé si loin et dans un pays dont on n’entend point la langue? Voilà d’étranges voyages entrepris à l’âge de près de cent quarante années.

Il amène à Memphis sa femme Sara, qui était extrêmement jeune, et presque enfant en comparaison de lui, car elle n’avait que soixante-cinq ans. Comme elle était très belle, il résolut de tirer parti de sa beauté: « Feignez que vous êtes ma soeur, lui dit-il, afin qu’on me fasse du bien à cause de vous. » Il devait bien plutôt lui dire: « Feignez que vous êtes ma fille. » Le roi devint amoureux de la jeune Sara, et donna au prétendu frère beaucoup de brebis, de boeufs, d’ânes, d’ânesses, de chameaux, de serviteurs, de servantes: ce qui prouve que l’Égypte dès lors était un royaume très puissant et très policé, par conséquent très ancien, et qu’on récompensait magnifiquement les frères qui venaient offrir leurs soeurs aux rois de Memphis.

La jeune Sara avait quatre-vingt-dix ans quand Dieu lui promit qu’Abraham, qui en avait alors cent soixante, lui ferait un enfant dans l’année. Abraham, qui aimait à voyager, alla dans le désert horrible de Cadès avec sa femme grosse, toujours jeune et toujours jolie. Un roi de ce désert ne manqua pas d’être amoureux de Sara comme le roi d’Égypte l’avait été. Le père des croyants fit le même mensonge qu’en Égypte: il donna sa femme pour sa soeur, et eut encore de cette affaire des brebis, des boeufs, des serviteurs, et des servantes. On peut dire que cet Abraham devint fort riche du chef de sa femme. Les commentateurs ont fait un nombre prodigieux de volumes pour justifier la conduite d’Abraham, et pour concilier la chronologie. Il faut donc renvoyer le lecteur à ces commentaires. Il sont tous composés par des esprits fins et délicats, excellents métaphysiciens, gens sans préjugés, et point du tout pédants.

Toleranz (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Tolérance aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 wieder.


Qu’est-ce que la tolérance? c’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs; pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature.
Qu’à la bourse d’Amsterdam, de Londres, ou de Surate, ou de Bassora, le guèbre, le banian, le juif, le mahométan, le déicole chinois, le bramin, le chrétien grec, le chrétien romain, le chrétien protestant, le chrétien quaker, trafiquent ensemble, ils ne lèveront pas le poignard les uns sur les autres pour gagner des âmes à leur religion. Pourquoi donc nous sommes-nous égorgés presque sans interruption depuis le premier concile de Nicée?
Constantin commença par donner un édit qui permettait toutes les religions; il finit par persécuter. Avant lui on ne s’éleva contre les chrétiens que parce qu’ils commençaient à faire un parti dans l’État(27). Les Romains permettaient tous les cultes, jusqu’à celui des Juifs, jusqu’à celui des Égyptiens, pour lesquels ils avaient tant de mépris. Pourquoi Rome tolérait-elle ces cultes? C’est que ni les Égyptiens, ni même les Juifs ne cherchaient à exterminer l’ancienne religion de l’empire, ne couraient point la terre et les mers pour faire des prosélytes; ils ne songeaient qu’à gagner de l’argent: mais il est incontestable que les chrétiens voulaient que leur religion fût la dominante. Les Juifs ne voulaient pas que la statue de Jupiter fût à Jérusalem; mais les chrétiens ne voulaient pas qu’elle fût au Capitole. Saint Thomas a la bonne foi d’avouer que si les chrétiens ne détrônèrent pas les empereurs, c’est qu’ils ne le pouvaient pas. Leur opinion était que toute la terre doit être chrétienne. Ils étaient donc nécessairement ennemis de toute la terre, jusqu’à ce qu’elle fût convertie.
Ils étaient entre eux ennemis les uns des autres sur tous les points de leur controverse. Faut-il d’abord regarder Jésus-Christ comme Dieu, ceux qui le nient sont anathématisés sous le nom d’ébionites, qui anathématisent les adorateurs de Jésus.
Quelques-uns d’entre eux veulent-ils que tous les biens soient communs, comme on prétend qu’ils l’étaient du temps des apôtres, leurs adversaires les appellent nicolaïtes, et les accusent des crimes les plus infâmes. D’autres prétendent-ils à une dévotion mystique, on les appelle gnostiques, et on s’élève contre eux avec fureur. Marcion dispute-t-il sur la Trinité, on le traite d’idolâtre.
Tertullien, Praxéas, Origène, Novat, Novatien, Sabellius Donat, sont tous persécutés par leurs frères avant Constantin; et à peine Constantin a-t-il fait régner la religion chrétienne, que les athanasiens et les eusébiens se déchirent et depuis ce temps l’Église chrétienne est inondée de sang jusqu’à nos jours.
Le peuple juif était, je l’avoue, un peuple bien barbare. Il égorgeait sans pitié tous les habitants d’un malheureux petit pays sur loquet il n’avait pas plus de droit qu’il n’en a sur Paris et sur Londres. Cependant quand Naaman est guéri de sa lèpre pour s’être plongé sept fois dans le Jourdain; quand, pour témoigner sa gratitude à Élisée, qui lui a enseigné ce secret, il lui dit qu’il adorera le dieu des Juifs par reconnaissance, il se réserve la liberté d’adorer aussi le dieu de son roi; il en demande permission à Élisée, et le prophète n’hésite pas à la lui donner. Les Juifs adoraient leur Dieu; mais ils n’étaient jamais étonnés que chaque peuple eût le sien Ils trouvaient bon que Chamos eût donné un certain district aux Moabites, pourvu que leur dieu leur en donnât aussi un. Jacob n’hésita pas à épouser les filles d’un idolâtre. Laban avait son dieu, comme Jacob avait le sien. Voilà des exemples de tolérance chez le peuple le plus intolérant et le plus cruel de toute l’antiquité: nous l’avons imité dans ses fureurs absurdes, et non dans son indulgence.
Il est clair que tout particulier qui persécute un homme, son frère, parce qu’il n’est pas de son opinion, est un monstre; cela ne souffre pas de difficulté: mais le gouvernement, mais les magistrats, mais les princes, comment en useront-ils envers ceux qui ont un autre culte que le leur? Si ce sont des étrangers puissants, il est certain qu’un prince fera alliance avec eux. François Ier très chrétien s’unira avec les musulmans contre Charles-Quint très catholique. François Ier donnera de l’argent aux luthériens d’Allemagne pour les soutenir dans leur révolte contre l’empereur; mais il commencera, selon l’usage, par faire brûler les luthériens chez lui. Il les paye en Saxe par politique; il les brûle par politique à Paris. Mais qu’arrivera-t-il? Les persécutions font des prosélytes; bientôt la France sera pleine de nouveaux protestants: d’abord ils se laisseront pendre, et puis ils pendront à leur tour. Il y aura des guerres civiles, puis viendra la Saint-Barthélemy; et ce coin du monde sera pire que tout ce que les anciens et les modernes ont jamais dit de l’enfer.
Insensés, qui n’avez jamais pu rendre un culte pur au Dieu qui vous a faits! malheureux, que l’exemple des noachides, des lettrés chinois, des parsis et de tous les sages, n’a jamais pu conduire! monstres, qui avez besoin de superstitions comme le gésier des corbeaux a besoin de charognes! on vous l’a déjà dit, et on n’a autre chose à vous dire; si vous avez deux religions chez vous, elles se couperont la gorge; si vous en avez trente, elles vivront en paix. Voyez le Grand-Turc, il gouverne des guèbres, des banians, des chrétiens grecs, des nestoriens, des romains. Le premier qui veut exciter du tumulte est empalé; et tout le monde est tranquille.

Luxus (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Luxe aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 wieder.




On a déclamé contre le luxe depuis deux mille ans, en vers et en prose, et on l’a toujours aimé.

Que n’a-t-on pas dit des premiers Romains? Quand ces brigands rangèrent et pillèrent les moissons; quand, pour augmenter leur pauvre village, ils détruisirent les pauvres villages des Volsques et des Samnites, c’étaient des hommes désintéressés et vertueux: ils n’avaient pu encore voler ni or, ni argent, ni pierreries, parce qu’il n’y en avait point dans les bourgs qu’ils saccagèrent. Leurs bois ni leurs marais ne produisaient ni perdrix, ni faisans, et on loue leur tempérance.
Quand de proche en proche ils eurent tout pillé, tout volé du fond du golfe Adriatique à l’Euphrate, et qu’ils eurent assez d’esprit pour jouir du fruit de leurs rapines; quand ils cultivèrent les arts, qu’ils goûtèrent tous les plaisirs, et qu’ils les firent même goûter aux vaincus, ils cessèrent alors, dit-on, d’être sages et gens de bien.
Toutes ces déclamations se réduisent à prouver qu’un voleur ne doit jamais ni manger le dîner qu’il a pris, ni porter l’habit qu’il a dérobé, ni se parer de la bague qu’il a volée. Il fallait, dit-on, jeter tout cela dans la rivière, pour vivre en honnêtes gens; dites plutôt qu’il ne fallait pas voler. Condamnez les brigands quand ils pillent; mais ne les traitez pas d’insensés quand ils jouissent. De bonne foi, lorsqu’un grand nombre de marins anglais se sont enrichis à la prise de Pondichéri et de la Havane, ont-ils eu tort d’avoir ensuite du plaisir à Londres, pour prix de la peine qu’ils avaient eue au fond de l’Asie et de l’Amérique?
Les déclamateurs voudraient qu’on enfouît les richesses qu’on aurait amassées par le sort des armes, par l’agriculture, par le commerce, et par l’industrie. Ils citent Lacédémone; que ne citent-ils aussi la république de Saint-Marin? Quel bien Sparte fit-elle à la Grèce? Eut-elle jamais des Démosthène, des Sophocle, des Apelle, et des Phidias? Le luxe d’Athènes a fait des grands hommes en tout genre; Sparte a eu quelques capitaines, et encore en moins grand nombre que les autres villes. Mais à la bonne heure qu’une aussi petite république que Lacédémone conserve sa pauvreté. On arrive à la mort aussi bien en manquant de tout qu’en jouissant de ce qui peut rendre la vie agréable. Le sauvage du Canada subsiste et atteint la vieillesse comme le citoyen d’Angleterre qui a cinquante mille guinées de revenu. Mais qui comparera jamais le pays des Iroquois à l’Angleterre?
Que la république de Raguse et le canton de Zug fassent des lois somptuaires, ils ont raison, il faut que le pauvre ne dépense point au delà de ses forces; mais j’ai lu quelque part.

Sachez surtout que le luxe enrichit
Un grand État, s’il en perd un petit.

Si par le luxe vous entendez l’excès, on sait que l’excès est pernicieux en tout genre, dans l’abstinence comme dans la gourmandise; dans l’économie comme dans la libéralité. Je ne sais comment il est arrivé que dans mes villages où la terre est ingrate, les impôts lourds, la défense d’exporter le blé qu’on a semé intolérable, il n’y a guère pourtant de colon qui n’ait un bon habit de drap, et qui ne soit bien chaussé et bien nourri. Si ce colon laboure avec son bel habit, avec du linge blanc, les cheveux frisés et poudrés, voilà certainement le plus grand luxe, et le plus impertinent; mais qu’un bourgeois de Paris ou de Londres paraisse au spectacle vêtu comme ce paysan, voilà la lésine la plus grossière et la plus ridicule.

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,
Quos ultra citraque nequit consistere rectum.

Lorsqu’on inventa les ciseaux, qui ne sont certainement pas de l’antiquité la plus haute, que ne dit-on pas contre les premiers qui se rognèrent les ongles et qui coupèrent une partie des cheveux qui leur tombaient sur le nez? On les traita sans doute de petits-maîtres et de prodigues qui achetaient chèrement un instrument de la vanité, pour gâter l’ouvrage du Créateur. Quel péché énorme d’accourcir la corne que Dieu fait naître au bout de nos doigts! C’était un outrage à la Divinité. Ce fut bien pis quand on inventa les chemises et les chaussons. On sait avec quelle fureur les conseillers, qui n’en avaient jamais porté, crièrent contre les jeunes magistrats qui donnèrent dans ce luxe funeste.