Grâce – Gnade (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Grâce – Gnade aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Sacrés consulteurs de Rome moderne, illustres et infaillibles théologiens, personne n’a plus de respect que moi pour vos divines décisions ; mais si Paul-Émile, Scipion, Caton, Cicéron, César, Titus, Trajan, Marc-Auréle, revenaient dans cette Rome qu’ils mirent autrefois en quelque crédit, vous m’avouerez qu’ils seraient un peu étonnés de vos décisions sur la grâce. Que diraient-ils s’ils entendaient parler de la grâce de santé, selon saint Thomas, et de la grâce médicinale, selon Cajetan ; de la grâce extérieure et intérieure, de la gratuite, de la sanctifiante, de l’actuelle, de l’habituelle, de la coopérante ; de l’efficace, qui quelquefois est sans effet ; de la suffisante, qui quelquefois ne suffit pas ; de la versatile, et de la congrue ? En bonne foi, y comprendraient-ils plus que vous et moi ?
Quel besoin auraient ces pauvres gens de vos sublimes instructions ? Il me semble que je les entends dire :
Mes révérends pères, vous êtes de terribles génies : nous pensions sottement que l’Être éternel ne se conduit jamais par les lois particulières comme les vils humains, mais par ses lois générales, éternelles comme lui. Personne n’a jamais imaginé parmi nous que Dieu fût semblable à un maître insensé qui donne un pécule à un esclave, et refuse la nourriture à l’autre ; qui ordonne à un manchot de pétrir de la farine, à un muet de lui faire la lecture, à un cul-de-jatte d’être son courrier.
Tout est grâce de la part de Dieu, il a fait au globe que nous habitons la grâce de le former ; aux arbres, la grâce de les faire croître ; aux animaux, celle de les nourrir ; mais dira-t-on que si un loup trouve dans son chemin un agneau pour son souper, et qu’un autre loup meure de faim, Dieu a fait à ce premier loup une grâce particulière ? S’est-il occupé, par une grâce prévenante, à faire croître un chêne préférablement à un autre chêne à qui la sève a manqué ? Si dans toute la nature tous les êtres sont soumis aux lois générales, comment une seule espèce d’animaux n’y serait-elle pas soumise ?
Pourquoi le maître absolu de tout aurait-il été plus occupé à diriger l’intérieur d’un seul homme qu’à conduire le reste de la nature entière ? Par quelle bizarrerie changerait-il quelque chose dans le cœur d’un Courlandais ou d’un Biscaïen, pendant qu’il ne change rien aux lois qu’il a imposées à tous les astres ?
Quelle pitié de supposer qu’il fait, défait, refait continuellement des sentiments dans nous ! et quelle audace de nous croire exceptés de tous les êtres ! Encore n’est-ce que pour ceux qui se confessent que tous ces changements sont imaginés. Un Savoyard, un Bergamasque aura le lundi la grâce de faire dire une messe pour douze sous ; le mardi, il ira au cabaret, et la grâce lui manquera ; le mercredi, il aura une grâce coopérante qui le conduira à confesse, mais il n’aura point la grâce efficace de la contrition parfaite ; le jeudi, ce sera une grâce suffisante qui ne lui suffira point, comme on l’a déjà dit. Dieu travaillera continuellement dans la tête de ce Bergamasque, tantôt avec force, tantôt faiblement, et le reste de la terre ne lui sera de rien ! il ne daignera pas se mêler de l’intérieur des Indiens et des Chinois ! S’il vous reste un grain de raison, mes révérends pères, ne trouvez-vous pas ce système prodigieusement ridicule ?
Malheureux, voyez ce chêne qui porte sa tête aux nues, et ce roseau qui rampe à ses pieds ; vous ne dites pas que la grâce efficace a été donnée au chêne, et a manqué au roseau. Levez les yeux au ciel, voyez l’éternel Demiourgos créant des millions de mondes qui gravitent tous les uns vers les autres par des lois générales et éternelles. Voyez la même lumière se réfléchir du soleil à Saturne, et de Saturne à nous ; et dans cet accord de tant d’astres emportés par un cours rapide, dans cette obéissance générale de toute la nature, osez croire, si vous pouvez, que Dieu s’occupe de donner une grâce versatile à sœur Thérèse, et une grâce concomitante à sœur Agnès.
Atome, à qui un sot atome a dit que l’Éternel a des lois particulières pour quelques atomes de ton voisinage ; qu’il donne sa grâce à celui-là, et la refuse à celui-ci ; que tel, qui n’avait pas la grâce hier, l’aura demain ; ne répète pas cette sottise. Dieu a fait l’univers, et ne va point créer des vents nouveaux pour remuer quelques brins de paille dans un coin de cet univers. Les théologiens sont comme les combattants chez Homère, qui croyaient que les dieux s’armaient tantôt contre eux, tantôt en leur faveur. Si Homère n’était pas considéré comme poëte, il le serait comme blasphémateur.
C’est Marc-Aurèle qui parle, ce n’est pas moi : car Dieu, qui vous inspire, me fait la grâce de croire tout ce que vous dites, tout ce que vous avez dit, et tout ce que vous direz.