Guerre – Krieg (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Guerre – Krieg aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


La famine, la peste et la guerre sont les trois ingrédients les plus fameux de ce bas monde. On peut ranger dans la classe de la famine toutes les mauvaises nourritures où la disette nous oblige d’avoir recours pour abréger notre vie dans l’espérance de la soutenir. On comprend dans la peste toutes les maladies contagieuses qui sont au nombre de deux ou trois mille. Ces deux présents nous viennent de la Providence. Mais la guerre, qui réunit tous ces dons, nous vient de l’imagination de trois ou quatre cents personnes répandues sur la surface de ce globe sous le nom de princes ou de ministres; et c’est peut-être pour cette raison que dans plusieurs dédicaces on les appelle les images vivantes de la Divinité.
Le plus déterminé des flatteurs conviendra sans peine que la guerre traîne toujours à sa suite la peste et la famine, pour peu qu’il ait vu les hôpitaux des armées d’Allemagne, et qu’il ait passé dans quelques villages où se sera fait quelque grand exploit de guerre.
C’est sans doute un très bel art que celui qui désole les campagnes, détruit les habitations, et fait périr, année commune, quarante mille hommes sur cent mille. Cette invention fut d’abord cultivée par des nations assemblées pour leur bien commun; par exemple, la diète des Grecs déclara à la diète de la Phrygie et des peuples voisins qu’elle allait partir sur un millier de barques de pêcheurs pour aller les exterminer si elle pouvait.
Le peuple romain assemblé jugeait qu’il était de son intérêt d’aller se battre avant moisson contre le peuple de Veïes, ou contre les Volsques. Et quelques années après, tous les Romains, étant en colère contre tous les Carthaginois, se battirent longtemps sur mer et sur terre. Il n’en est pas de même aujourd’hui.
Un généalogiste prouve à un prince qu’il descend en droite ligne d’un comte dont les parents avaient fait un pacte de famille il y a trois ou quatre cents ans avec une maison dont la mémoire même ne subsiste plus. Cette maison avait des prétentions éloignées sur une province dont le dernier possesseur est mort d’apoplexie: le prince et son conseil voient son droit évident. Cette province, qui est à quelques centaines de lieues de lui, a beau protester qu’elle ne le connaît pas, qu’elle n’a nulle envie d’être gouvernée par lui; que, pour donner des lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement; ces discours ne parviennent pas seulement aux oreilles du prince dont le droit est incontestable. Il trouve incontinent un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre; il les habille d’un gros drap bleu à cent dix sous l’aune, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche, et marche à la gloire.
Les autres princes qui entendent parler de cette équipée y prennent part, chacun selon son pouvoir, et couvrent une petite étendue de pays de plus de meurtriers mercenaires que Gengis-kan, Tamerlan, Bajazet, n’en traînèrent à leur suite.
Des peuples assez éloignés entendent dire qu’on va se battre, et qu’il y a cinq ou six sous par jour à gagner pour eux, s’ils veulent être de la partie; ils se divisent aussitôt en deux bandes comme des moissonneurs, et vont vendre leurs services à quiconque veut les employer.
Ces multitudes s’acharnent les unes contre les autres, non seulement sans avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s’agit.
Il se trouve à la fois cinq ou six puissances belligérantes, tantôt trois contre trois, tantôt deux contre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes également les unes les autres, s’unissant et s’attaquant tour à tour; toutes d’accord en un seul point, celui de faire tout le mal possible.
Le merveilleux de cette entreprise infernale, c’est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d’aller exterminer son prochain. Si un chef n’a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n’en remercie point Dieu; mais lorsqu’il y en a eu environ dix mille d’exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes. La même chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres; ce qui n’est pas pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles.
On paye partout un certain nombre de harangueurs pour célébrer ces journées meurtrières; les uns sont vêtus d’un long justaucorps noir, chargé d’un manteau écourté; les autres ont une chemise par-dessus une robe; quelques-uns portent deux pendants d’étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent longtemps; ils citent ce qui s’est fait jadis en Palestine, à propos d’un combat en Vetéravie.
Le reste de l’année ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points, et par antithèse, que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin sur leurs joues fraîches seront l’objet éternel des vengeances éternelles de l’Éternel; que Polyeucte et Athalie sont les ouvrages du démon; qu’un homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée un jour de carême, fait immanquablement son salut, et qu’un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va pour jamais à tous les diables.
De cinq à six mille déclamations de cette espèce, il y en a trois ou quatre, tout au plus, composées par un Gaulois nommé Massillon, qu’un honnête homme peut lire sans dégoût; mais dans tous ces discours, à peine en trouverez-vous deux où l’orateur ose dire quelques mots contre ce fléau ou ce crime de la guerre, qui contient tous les fléaux et tous les crimes. Les malheureux harangueurs parlent sans cesse contre l’amour, qui est la seule consolation du genre humain, et la seule manière de le réparer; ils ne disent rien des efforts abominables que nous faisons pour le détruire.
Vous avez fait un bien mauvais sermon sur l’impureté, ô Bourdaloue! mais aucun sur ces meurtres variés en tant de façons, sur ces brigandages, sur cette rage universelle qui désole le monde. Tous les vices réunis de tous les âges et de tous les lieux n’égaleront jamais les maux que produit une seule campagne.
Misérables médecins des âmes, vous criez pendant cinq quarts d’heure sur quelques piqûres d’épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux! Philosophes moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l’héroïsme sera ce qu’il y a de plus affreux dans la nature entière.
Que deviennent et que m’importent l’humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu’une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que mes veux qui s’ouvrent pour la dernière fois voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la flamme, et que les derniers sons qu’entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirants sous des ruines, le tout pour les prétendus intérêts d’un homme que nous ne connaissons pas?
Ce qu’il y a de pis, c’est que la guerre est un fléau inévitable. Si l’on y prend garde, tous les hommes ont adoré le dieu Mars; Sabaoth chez les Juifs signifie le Dieu des armes: mais Minerve chez Homère appelle Mars un dieu furieux, insensé, infernal

Matière – Materie (Originaltext)

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Les sages à qui l’on demande ce que c’est que l’âme, répondent qu’ils n’en savent rien. Si on leur demande ce que c’est que la matière, ils font la même réponse. Il est vrai que des professeurs, et surtout des écoliers, savent parfaitement tout cela; et quand ils ont répété que la matière est étendue et divisible, ils croient avoir tout dit; mais quand ils sont priés de dire ce que c’est que cette chose étendue, ils se trouvent embarrassés. « Cela est composé de parties, » disent-ils; et ces parties de quoi sont-elles composées? Les éléments de ces parties sont-ils divisibles? Alors, ou ils sont muets, ou ils parlent beaucoup, ce qui est également suspect. Cet être presque inconnu, qu’on nomme matière, est-il éternel? Toute l’antiquité l’a cru. A-t-il par lui-même la force active? Plusieurs philosophes l’ont pensé. Ceux qui le nient sont-ils en droit de le nier? Vous ne concevez pas que la matière puisse avoir rien par elle-même. Mais comment pouvez-vous assurer qu’elle n’a pas par elle-même les propriétés qui lui sont nécessaires? Vous ignorez quelle est sa nature, et vous lui refusez des modes qui sont pourtant dans sa nature; car enfin, dès qu’elle est, il faut bien qu’elle soit d’une certaine façon, qu’elle soit figurée; et dès qu’elle est nécessairement figurée, est-il impossible qu’il n’y ait d’autres modes attachés à sa configuration? La matière existe, vous ne la connaissez que par vos sensations. Hélas! de quoi servent toutes les subtilités de l’esprit depuis qu’on raisonne? La géométrie nous a appris bien des vérités, la métaphysique bien peu. Nous pesons la matière, nous la mesurons, nous la décomposons; et au delà de ces opérations grossières, si nous voulons faire un pas, nous trouvons dans nous l’impuissance, et devant nous un abîme.
Pardonnez de grâce à l’univers entier qui s’est trompé en croyant la matière existante par elle-même. Pouvait-il faire autrement? Comment imaginer que ce qui est sans succession n’a pas toujours été? S’il n’était pas nécessaire que la matière existât, pourquoi existe-t-elle? et s’il fallait qu’elle fût, pourquoi n’aurait-elle pas été toujours? Nul axiome n’a jamais été plus universellement reçu que celui-ci: Rien ne se fait de rien. En effet le contraire est incompréhensible. Le chaos a chez tous les peuples précédé l’arrangement qu’une main divine a fait du monde entier. L’éternité de la matière n’a nui chez aucun peuple au culte de la Divinité. La religion ne fut jamais effarouchée qu’un Dieu éternel fût reconnu comme le maître d’une matière éternelle. Nous sommes assez heureux pour savoir aujourd’hui par la foi, que Dieu tira la matière du néant; mais aucune nation n’avait été instruite de ce dogme; les Juifs même l’ignorèrent. Le premier verset de la Genèse dit que les dieux, Éloïm, non pas Éloï, firent le ciel et la terre; il ne dit pas que le ciel et la terre furent créés de rien.
Philon, qui est venu dans le seul temps où les Juifs aient eu quelque érudition, dit dans son chapitre de la création: “Dieu, étant bon par sa nature, n’a point porté envie à la substance, à la matière, qui par elle-même n’avait rien de bon, qui n’a de sa nature qu’inertie, confusion, désordre. Il daigna la rendre bonne de mauvaise qu’elle était.”
L’idée du chaos débrouillé par un Dieu se trouve dans toutes les anciennes théologies. Hésiode répétait ce que pensait l’Orient, quand il disait dans sa théogonie: „Le chaos est ce qui a existé le premier.“ Ovide était l’interprète de tout l’empire romain, quand il disait:
Sic ubi dispositam, quisquis fuit ille Deorum.
Congeriem secuit.

La matière était donc regardée entre les mains de Dieu comme l’argile sous la roue du potier, s’il est permis de se servir de ces faibles images pour en exprimer la divine puissance.
La matière étant éternelle devait avoir des propriétés éternelles, comme la configuration, la force d’inertie, le mouvement, et la divisibilité. Mais cette divisibilité n’est que la suite du mouvement; car sans mouvement rien ne se divise, ne se sépare, ni ne s’arrange. On regardait donc le mouvement comme essentiel à la matière. Le chaos avait été un mouvement confus, et l’arrangement de l’univers un mouvement régulier imprimé à tous les corps par le maître du monde. Mais comment la matière aurait-elle le mouvement par elle-même? Comme elle a, selon tous les anciens, l’étendue et l’impénétrabilité.
Mais on ne la peut concevoir sans étendue, et on peut la concevoir sans mouvement. A cela on répondait: « Il est impossible que la matière ne soit pas perméable; or étant perméable, il faut bien que quelque chose passe continuellement dans ses pores; à quoi bon des passages si rien n’y passe? »
De réplique en réplique on ne finirait jamais; le système de la matière éternelle a de très grandes difficultés comme tous les systèmes. Celui de la matière formée de rien n’est pas moins incompréhensible. Il faut l’admettre, et ne pas se flatter d’en rendre raison; la philosophie ne rend point raison de tout. Que de choses incompréhensibles n’est-on pas obligé d’admettre, même en géométrie? Conçoit-on deux lignes qui s’approcheront toujours, et qui ne se rencontreront jamais?
Les géomètres à la vérité nous diront: « Les propriétés des asymptotes vous sont démontrées; vous ne pouvez vous empêcher de les admettre; mais la création ne l’est pas: pourquoi l’admettez-vous? Quelle difficulté trouvez-vous à croire comme toute l’antiquité la matière éternelle? » D’un autre côté, le théologien vous pressera et vous dira: « Si vous croyez la matière éternelle, vous reconnaissez donc deux principes: Dieu et la matière; vous tombez dans l’erreur de Zoroastre, de Manès. »
On ne répondra rien aux géomètres, parce que ces gens-là ne connaissent que leurs lignes, leurs surfaces, et leurs solides; mais on pourra dire au théologien: « En quoi suis-je manichéen? Voilà des pierres qu’un architecte n’a point faites; il en a élevé un bâtiment immense; je n’admets point deux architectes; les pierres brutes ont obéi au pouvoir et au génie. »
Heureusement, quelque système qu’on embrasse, aucun ne nuit à la morale; car qu’importe que la matière soit faite ou arrangée? Dieu est également notre maître absolu. Nous devons être également vertueux sur un chaos débrouillé, ou sur un chaos créé de rien; presque aucune de ces questions métaphysiques n’influe sur la conduite de la vie: il en est des disputes comme des vains discours qu’on tient à table; chacun oublie après dîner ce qu’il a dit, et va où son intérêt et son goût l’appellent.

Superstition – Aberglaube (Originaltext)

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Presque tout ce qui va au delà de l’adoration d’un Être suprême, et de la soumission du coeur à ses ordres éternels, est superstition. C’en est une très dangereuse que le pardon des crimes attaché à certaines cérémonies.
Et nigras mactant pécudes, et Manibu’ divis,
Inferias mittunt.
O faciles nimium, qui tristia crimina caedis,
Flumineâ tolli posse putatis aquâ!
Vous pensez que Dieu oubliera votre homicide, si vous vous baignez dans un fleuve, si vous immolez une brebis noire, et si on prononce sur vous des paroles. Un second homicide vous sera donc pardonné au même prix, et ainsi un troisième et cent meurtres ne vous coûteront que cent brebis noires et cent ablutions! Faites mieux misérables humains, point de meurtres et point de brebis noires.
Quelle infâme idée d’imaginer qu’un prêtre d’Isis et de Cybèle, en jouant des cymbales et des castagnettes, vous réconciliera avec la Divinité! Eh! qu’est-il donc ce prêtre de Cybèle, cet eunuque errant qui vit de vos faiblesses, pour s’établir médiateur entre le ciel et vous? Quelles patentes a-t-il reçues de Dieu? Il reçoit de l’argent de vous pour marmotter des paroles, et vous pensez que l’Être des êtres ratifie les paroles de ce charlatan!
Il y a des superstitions innocentes; vous dansez les jours de fêtes en l’honneur de Diane ou de Pomone, ou de quelqu’un de ces dieux secondaires dont votre calendrier est rempli: à la bonne heure. La danse est très agréable, elle est utile au corps; elle réjouit l’âme, elle ne fait de mal à personne; mais n’allez pas croire que Pomone et Vertumne vous sachent beaucoup de gré d’avoir sauté en leur honneur, et qu’ils vous punissent d’y avoir manqué. Il n’y a d’autre Pomone ni d’autre Vertumne que la bêche et le hoyau du jardinier. Ne soyez pas assez imbéciles pour croire que votre jardin sera grêlé, si vous avez manqué de danser la pyrrhique ou la cordace.
Il y a peut-être une superstition pardonnable et même encourageante à la vertu; c’est celle de placer parmi les dieux les grands hommes qui ont été les bienfaiteurs du genre humain. Il serait mieux sans doute de s’en tenir à les regarder simplement comme des hommes vénérables, et surtout de tâcher de les imiter. Vénérez sans culte un Solon, un Thalès, un Pythagore; mais n’adorez pas un Hercule pour avoir nettoyé les écuries d’Augias, et pour avoir couché avec cinquante filles dans une nuit.
Gardez-vous surtout d’établir un culte pour des gredins qui n’ont eu d’autre mérite que l’ignorance, l’enthousiasme, et la crasse; qui se sont fait un devoir et une gloire de l’oisiveté et de la gueuserie: ceux qui ont été au moins inutiles pendant leur vie méritent-ils l’apothéose après leur mort?
Remarquez que les temps les plus superstitieux ont toujours été ceux des plus horribles crimes.

Méchant – Böse (Originalversion)

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On nous crie que la nature humaine est essentiellement perverse, que l’homme est né enfant du diable et méchant. Rien n’est plus malavisé; car, mon ami, toi qui me prêches que tout le monde est né pervers, tu m’avertis donc que tu es né tel, qu’il faut que je me défie de toi comme d’un renard ou d’un crocodile. Oh point! me dis-tu, je suis régénéré, je ne suis ni hérétique ni infidèle, on peut se fier à moi. Mais le reste du genre humain qui est ou hérétique, ou ce que tu appelles infidèle, ne sera donc qu’un assemblage de monstres; et toutes les fois que tu parleras à un luthérien, ou à un Turc, tu dois être sûr qu’ils te voleront et qu’ils t’assassineront, car ils sont enfants du diable; ils sont nés méchants; l’un n’est point régénéré, et l’autre est dégénéré. Il serait bien plus raisonnable, bien plus beau de dire aux hommes: « Vous êtes tous nés bons; voyez combien il serait affreux de corrompre la pureté de votre être. » Il eût fallu en user avec le genre humain comme on en use avec tous les hommes en particulier. Un chanoine mène-t-il une vie scandaleuse, on lui dit: Est-il possible que vous déshonoriez la dignité de chanoine? On fait souvenir un homme de robe qu’il a l’honneur d’être conseiller du roi, et qu’il doit l’exemple. On dit à un soldat pour l’encourager: Songe que tu es du régiment de Champagne. On devrait dire à chaque individu: Souviens-toi de ta dignité d’homme.
Et en effet, malgré qu’on en ait, on en revient toujours là; car que vent dire ce mot si fréquemment employé chez toutes les nations: Rentrez en vous-même? si vous étiez né enfant du diable, si votre origine était criminelle, si votre sang était formé d’une liqueur infernale, ce mot: Rentrez en vous-même, signifierait: Consultez, suivez votre nature diabolique, soyez imposteur, voleur, assassin, c’est la loi de votre père.
L’homme n’est point né méchant; il le devient, comme il devient malade. Des médecins se présentent et lui disent: Vous êtes né malade; il est bien sûr que ces médecins, quelque chose qu’ils disent et qu’ils fassent, ne le guériront pas si sa maladie est inhérente à sa nature: et ces raisonneurs sont très malades eux-mêmes.
Assemblez tous les enfants de l’univers, vous ne verrez en eux que l’innocence, la douceur et la crainte; s’ils étaient nés méchants, malfaisants, cruels, ils en montreraient quelque signe, comme les petits serpents cherchent à mordre, et les petits tigres à déchirer. Mais la nature n’ayant pas donné à l’homme plus d’armes offensives qu’aux pigeons et aux lapins, elle ne leur a pu donner un instinct qui les perte à détruire.
L’homme n’est donc pas né mauvais; pourquoi plusieurs sont-ils donc infectés de cette peste de la méchanceté? c’est que ceux qui sont à leur tête étant pris de la maladie, la communiquent au reste des hommes, comme une femme attaquée du mal que Christophe Colomb rapporta d’Amérique, répand ce venin d’un bout de l’Europe à l’autre. Le premier ambitieux a corrompu la terre.
Vous m’allez dire que ce premier monstre a déployé le germe d’orgueil, de rapine, de fraude, de cruauté, qui est dans tous les hommes. J’avoue qu’en général la plupart de nos frères peuvent acquérir ces qualités; mais tout le monde a-t-il la fièvre putride, la pierre et la gravelle, parce que tout le monde y est exposé?
Il y a des nations entières qui ne sont point méchantes: les Philadelphiens, les Banians, n’ont jamais tué personne. Les Chinois, les peuples du Tunquin, de Lao, de Siam, du Japon même, depuis plus de cent ans, ne connaissent point la guerre. A peine voit-on en dix ans un de ces grands crimes qui étonnent la nature humaine, dans les villes de Rome, de Venise, de Paris, de Londres, d’Amsterdam, villes où pourtant la cupidité, mère de tous les crimes, est extrême.
Si les hommes étaient essentiellement méchants, s’ils naissaient tous soumis à un être aussi malfaisant que malheureux, qui, pour se venger de son supplice leur inspirerait toutes ses fureurs, on verrait tous les matins les maris assassinés par leurs femmes, et les pères par leurs enfants, comme on voit à l’aube du jour des poules étranglées par une fouine qui est venue sucer leur sang.
S’il y a un milliard d’hommes sur la terre, c’est beaucoup; cela donne environ cinq cents millions de femmes qui cousent, qui filent, qui nourrissent leurs petits, qui tiennent la maison ou la cabane propre, et qui médisent un peu de leurs voisines. Je ne vois pas quel grand mal ces pauvres innocentes font sur la terre. Sur ce nombre d’habitants du globe, il y a deux cents millions d’enfants au moins, qui certainement ne tuent ni ne pillent, et environ autant de vieillards ou de malades qui n’en ont pas le pouvoir. Restera tout au plus cent millions de jeunes gens robustes et capables du crime. De ces cent millions il y en a quatre-vingt-dix continuellement occupés à forcer la terre, par un travail prodigieux, à leur fournir la nourriture et le vêtement; ceux-là n’ont guère le temps de mal faire.
Dans les dix millions restants seront compris les gens oisifs et de bonne compagnie, qui veulent jouir doucement; les hommes à talents occupés de leurs professions; les magistrats, les prêtres, visiblement intéressés à mener une vie pure, au moins en apparence. Il ne restera donc de vrais méchants que quelques politiques, soit séculiers, soit réguliers, qui veulent toujours troubler le monde, et quelques milliers de vagabonds qui louent leurs services à ces politiques. Or il n’y a jamais à la fois un million de ces bêtes féroces employées; et dans ce nombre je compte les voleurs de grands chemins. Vous avez donc tout au plus sur la terre, dans les temps les plus orageux, un homme sur mille qu’on peut appeler méchant, encore ne l’est-il pas toujours.
Il y a donc infiniment moins de mal sur la terre qu’on ne dit et qu’on ne croit. Il y en a encore trop sans doute; on voit des malheurs et des crimes horribles: mais le plaisir de se plaindre et d’exagérer est si grand, qu’à la moindre égratignure vous criez que la terre regorge de sang. Avez-vous été trompé, tous les hommes sont des parjures. Un esprit mélancolique qui a souffert une injustice voit l’univers couvert de damnés, comme un jeune voluptueux soupant avec sa dame, au sortir de l’opéra, n’imagine pas qu’il y ait des infortunés.

Fables – Fabeln (Originaltext)

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Les plus anciennes fables ne sont-elles pas visiblement allégoriques ? La première que nous connaissions dans notre manière de supputer les temps, n’est-ce pas celle qui est racontée dans le neuvième chapitre du livre des Juges ? Il fallut choisir un roi parmi les arbres ; l’olivier ne voulut point abandonner le soin de son huile, ni le figuier celui de ses figues, ni la vigne celui de son vin, ni les autres arbres celui de leur fruit ; le chardon, qui n’était bon à rien, se fit roi, parce qu’il avait des épines et qu’il pouvait faire du mal.
L’ancienne fable de Vénus, telle qu’elle est rapportée dans Hésiode, n’est-elle pas une allégorie de la nature entière ? Les parties de la génération sont tombées de l’Éther sur le rivage de la mer : Vénus naît de cette écume précieuse ; son premier nom est celui d’Amante de l’organe de la génération, Philometès : y a-t-il une image plus sensible ? Cette Vénus est la déesse de la beauté ; la beauté cesse d’être aimable si elle marche sans les grâces ; la beauté fait naître l’amour ; l’amour a des traits qui percent les cœurs ; il porte un bandeau qui cache les défauts de ce qu’on aime.
La sagesse est conçue dans le cerveau du maître des dieux sous le nom de Minerve ; l’âme de l’homme est un feu divin que Minerve montre à Prométhée, qui se sert de ce feu divin pour animer l’homme.
Il est impossible de ne pas reconnaître dans ces fables une peinture vivante de la nature entière. La plupart des autres fables sont, ou la corruption des histoires anciennes, ou le caprice de l’imagination. Il en est des anciennes fables comme de nos contes modernes : il y en a de moraux, qui sont charmants ; il en est qui sont insipides

Vertu – Tugend (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Vertu – Tugend aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Qu’est-ce que vertu? Bienfaisance envers le prochain. Puis-je appeler vertu autre chose que ce qui me fait du bien? Je suis indigent, tu es libéral; je suis en danger, tu me secours; on me trompe, tu me dis la vérité; on me néglige, tu me consoles; je suis ignorant, tu m’instruis: je t’appellerai sans difficulté vertueux. Mais que deviendront les vertus cardinales et théologales? Quelques-unes resteront dans les écoles.
Que m’importe que tu sois tempérant? c’est un précepte de santé que tu observes; tu t’en porteras mieux, et je t’en félicite. Tu as la foi et l’espérance, et je t’en félicite encore davantage; elles te procureront la vie éternelle. Tes vertus théologales sont des dons célestes; tes cardinales sont d’excellentes qualités qui servent à te conduire mais elles ne sont point vertus par rapport à ton prochain. Le prudent se fait du bien, le vertueux en fait aux hommes. Saint Paul a eu raison de te dire que la charité l’emporte sur la foi, sur l’espérance.
Mais quoi, n’admettra-t-on de vertus que celles qui sont utiles au prochain? Eh! comment puis-je en admettre d’autres? Nous vivons en société; il n’y a donc de véritablement bon pour nous que ce qui fait le bien de la société. Un solitaire sera sobre, pieux, Il sera revêtu d’un cilice; eh bien, il sera saint: mais je ne l’appellerai vertueux que quand il aura fait quelque acte de vertu dont les autres hommes auront profité. Tant qu’il est seul, il n’est ni bienfaisant ni malfaisant; il n’est rien pour nous. Si saint Bruno a mis la paix dans les familles, s’il a secouru l’indigence, il a été vertueux; s’il a jeûné, prié dans la solitude, il a été un saint. La vertu entre les hommes est un commerce de bienfaits; celui qui n’a nulle part à ce commerce ne doit point être compté. Si ce saint était dans le monde, il ferait du bien sans doute; mais tant qu’il n’y sera pas, le monde aura raison de ne lui pas donner le nom de vertueux; il sera bon pour lui, et non pour nous.
Mais, me dites-vous, si un solitaire est gourmand, ivrogne, livré à une débauche secrète avec lui-même, il est vicieux; il est donc vertueux, s’il a les qualités contraires. C’est de quoi je ne puis convenir: c’est un très vilain homme s’il a les défauts dont vous parlez; mais il n’est point vicieux, méchant, punissable par rapport à la société, à qui ses infamies ne font aucun mal. Il est à présumer que, s’il rentre dans la société, il y fera du mal, qu’il y sera très vicieux; et il est même bien plus probable que ce sera un méchant homme, qu’il n’est sûr que l’autre solitaire tempérant et chaste sera un homme de bien; car dans la société les défauts augmentent, et les bonnes qualités diminuent.
On fait une objection bien plus forte; Néron, le pape Alexandre VI, et d’antres monstres de cette espèce, ont répandu des bienfaits; je réponds hardiment qu’ils furent vertueux ce jour-là.
Quelques théologiens disent que le divin empereur Antonin n’était pas vertueux; que c’était un stoïcien entêté, qui, non content de commander aux hommes, voulait encore être estimé d’eux; qu’il rapportait à lui-même le bien qu’il faisait au genre humain; qu’il fut toute sa vie juste, laborieux, bienfaisant par vanité, et qu’il ne fit que tromper les hommes par ses vertus; je m’écrie alors: « Mon Dieu, donnez-nous souvent de pareils fripons! »

Tirannie – Tyrannei (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Tirannie – Tyrannei aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


On appelle tyran le souverain qui ne connaît de lois que son caprice, qui prend le bien de ses sujets, et qui ensuite les enrôle pour aller prendre celui de ses voisins. Il n’y a point de ces tyrans-là en Europe.
On distingue la tyrannie d’un seul et celle de plusieurs. Cette tyrannie de plusieurs serait celle d’un corps qui envahirait les droits des autres corps, et qui exercerait le despotisme à la faveur des lois corrompues par lui. Il n’y a pas non plus de cette espèce de tyrans en Europe.
Sous quelle tyrannie aimeriez-vous mieux vivre? Sous aucune; mais s’il fallait choisir, je détesterais moins la tyrannie d’un seul que celle de plusieurs. Un despote a toujours quelques bous moments; une assemblée de despotes n’en a jamais. Si un tyran me fait une injustice, je peux le désarmer par sa maîtresse, par son confesseur, ou par son page; mais une compagnie de graves tyrans est inaccessible à toutes les séductions. Quand elle n’est pas injuste, elle est au moins dure, et jamais elle ne répand de grâces.
Si je n’ai qu’un despote, j’en suis quitte pour me ranger contre un mur lorsque je le vois passer, ou pour me prosterner, ou pour frapper la terre de mon front, selon la coutume du pays; mais s’il y a une compagnie de cent despotes, je suis exposé à répéter cette cérémonie cent fois par jour, ce qui est très ennuyeux à la longue quand on n’a pas les jarrets souples. Si j ai une métairie dans le voisinage de l’un de nos seigneurs, je suis écrasé; si je plaide contre un parent des parents d’un de nos seigneurs, je suis ruiné. Comment faire? J’ai peur que dans ce monde on ne soit réduit à être enclume ou marteau; heureux qui échappe à cette alternative!

Patrie – Vaterland (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Patrie – Vaterland aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Une patrie est un composé de plusieurs familles; et comme on soutient communément sa famille par amour-propre, lorsqu’on n’a pas un intérêt contraire, on soutient par le même amour-propre sa ville ou son village, qu’on appelle sa patrie.
Plus cette patrie devient grande, moins on l’aime; car l’amour partagé s’affaiblit. Il est impossible d’aimer tendrement une famille trop nombreuse qu’on connaît à peine.
Celui qui brûle de l’ambition d’être édile, tribun, préteur, consul, dictateur, crie qu’il aime sa patrie, et il n’aime que lui-même. Chacun veut être sûr de pouvoir coucher chez soi, sans qu’un autre homme s’arroge le pouvoir de l’envoyer coucher ailleurs; chacun veut être sûr de sa fortune et de sa vie. Tous formant ainsi les mêmes souhaits, il se trouve que l’intérêt particulier devient l’intérêt général: on fait des voeux pour la république, quand on n’en fait que pour soi-même.
Il est impossible qu’il y ait sur la terre un État qui ne se soit gouverné d’abord en république; c’est la marche naturelle de la nature humaine. Quelques familles s’assemblent d’abord contre les ours et contre les loups; celle qui a des grains en fournit en échange à celle qui n’a que du bois.
Quand nous avons découvert l’Amérique, nous avons trouvé toutes les peuplades divisées en républiques; il n’y avait que deux royaumes dans toute cette partie du monde. De mille nations nous n’en trouvâmes que deux subjuguées.
Il en était ainsi de l’ancien monde; tout était république en Europe, avant les roitelets d’Étrurie et de Rome. On voit encore aujourd’hui des républiques en Afrique. Tripoli, Tunis, Alger, vers notre septentrion, sont des républiques de brigands. Les Hottentots, vers le midi, vivent encore comme on dit qu’on vivait dans les premiers âges du monde, libres, égaux entre eux, sans maîtres, sans sujets, sans argent, et presque sans besoins. La chair de leurs moutons les nourrit, leur peau les habille, des huttes de bois et de terre sont leurs retraites: ils sont les plus puants de tous les hommes, mais ils ne le sentent pas; ils vivent et ils meurent plus doucement que nous.
Il reste dans notre Europe huit républiques sans monarques, Venise, la Hollande, la Suisse, Gênes, Lucques, Raguse, Genève, et Saint-Marin(2). On peut regarder la Pologne, la Suède, l’Angleterre, comme des républiques sous un roi; mais la Pologne est la seule qui en prenne le nom.
Or, maintenant, lequel vaut mieux que votre patrie soit un État monarchique, ou un État républicain? Il y a quatre mille ans qu’on agite cette question. Demandez la solution aux riches, ils aiment tous mieux l’aristocratie; interrogez le peuple, il veut la démocratie: il n’y a que les rois qui préfèrent la royauté(3). Comment donc est-il possible que presque toute la terre soit gouvernée par des monarques? demandez-le aux rats qui proposèrent de pendre une sonnette au cou du chat. Mais, en vérité, la véritable raison est, comme on l’a dit, que les hommes sont très rarement dignes de se gouverner eux-mêmes.
Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes. L’ancien Caton, ce bon citoyen, disait toujours en opinant au sénat: « Tel est mon avis, et qu’on ruine Carthage. » Être bon patriote, c’est souhaiter que sa ville s’enrichisse par le commerce, et soit puissante par les armes. Il est clair qu’un pays ne peut gagner sans qu’un autre perde, et qu’il ne peut vaincre sans faire des malheureux.
Telle est donc la condition humaine que souhaiter la grandeur de son pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande, ni plus petite, ni plus riche, ni plus pauvre, serait le citoyen de l’univers

Métamorphoses, Metempsicose – Verwandlung, Seelenwanderung (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Métamorphose, Metempsicose – Verwandlung, Seelenwanderung aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


N’est-il pas bien naturel que toutes les métamorphoses dont la terre est couverte aient fait imaginer dans l’Orient, où on a imaginé tout, que nos âmes passaient d’un corps à un autre? un point presque imperceptible devient un ver, ce ver devient papillon; un gland se transforme en chêne, un oeuf en oiseau; l’eau devient nuage et tonnerre; le bois se change en feu et en cendre; tout paraît enfin métamorphosé dans la nature. On attribua bientôt aux âmes, qu’on regardait comme des figures légères, ce qu’on voyait sensiblement dans des corps plus grossiers. L’idée de la métempsycose est peut-être le plus ancien dogme de l’univers connu, et il règne encore dans une grande partie de l’Inde et de la Chine.
Il est encore très naturel que toutes les métamorphoses dont nous sommes les témoins aient produit ces anciennes fables qu’Ovide a recueillies dans son admirable ouvrage. Les Juifs mêmes ont eu aussi leurs métamorphoses. Si Niobé fut changée en marbre, Édith, femme de Loth, fut changée en statue de sel. Si Eurydice resta dans les enfers pour avoir regardé derrière elle, c’est aussi pour la même indiscrétion que cette femme de Loth fut privée de la nature humaine. Le bourg qu’habitaient Baucis et Philémon en Phrygie est changé en un lac; la même chose arrive à Sodome. Les filles d’Anius changeaient l’eau en huile; nous avons dans l’Écriture une métamorphose à peu près semblable, mais plus vraie et plus sacrée. Cadmus fut changé en serpent; la verge d’Aaron devint serpent aussi.
Les dieux se changeaient très souvent en hommes; les Juifs n’ont jamais vu les anges que sous la forme humaine: les anges mangèrent chez Abraham. Paul, dans son Épître aux Corinthiens, dit que l’ange de Satan lui a donné des soufflets: Angelos Satana me colaphisei.

Fin, causes finales – Zweck, Zweckursachen (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Fin, causes finales – Zweck, Zweckursachen aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Il paraît qu’il faut être forcené pour nier que les estomacs soient faits pour digérer, les yeux pour voir, les oreilles pour entendre.
D’un autre côté, il faut avoir un étrange amour des causes finales pour assurer que la pierre a été formée pour bâtir des maisons, et que les vers à soie sont nés à la Chine afin que nous ayons du satin en Europe
Mais, dit-on, si Dieu a fait visiblement une chose à dessein, il a donc fait toutes choses à dessein. Il est ridicule d’admettre la Providence dans un cas, et de la nier dans les autres. Tout ce qui est fait a été prévu, a été arrangé. Nul arrangement sans objet, nul effet sans cause: donc tout est également le résultat, le produit d’une cause finale; donc il est aussi vrai de dire que les nez ont été faits pour porter des lunettes, et les doigts pour être ornés de bagues, qu’il est vrai de dire que les oreilles ont été formées pour entendre les sons, et les yeux pour recevoir la lumière(38).
Il ne résulte de cette objection rien autre, ce me semble, sinon que tout est l’effet prochain ou éloigné d’une cause finale générale; que tout est la suite des lois éternelles.
Les pierres, en tout lieu et en tout temps, ne composent pas des bâtiments; tous les nez ne portent pas des lunettes; tous les doigts n’ont pas une bague; toutes les jambes ne sont pas couvertes de bas de soie. Le ver à soie n’est donc pas fait pour couvrir mes jambes, précisément comme votre bouche est faite pour manger, et votre derrière pour aller à la garde-robe. Il y a donc des effets immédiats produits par les causes finales, et des effets en très grand nombre qui sont des produits éloignés de ces causes.
Tout ce qui appartient à la nature est uniforme, immuable, est l’ouvrage immédiat du Maître: c’est lui qui a créé les lois par lesquelles la lune entre pour les trois quarts dans la cause du flux et du reflux de l’Océan, et le soleil pour son quart; c’est lui qui a donné un mouvement de rotation au soleil, par lequel cet astre envoie en sept minutes et demie des rayons de lumière dans les yeux des hommes, des crocodiles, et des chats.
Mais si, après bien des siècles, nous nous sommes avisés d’inventer des ciseaux et des broches, de tondre avec les uns la laine des moutons et de les faire cuire avec les autres pour les manger, que peut-on en inférer autre chose sinon que Dieu nous a faits de façon qu’un jour nous deviendrions nécessairement industrieux et carnassiers?
Les moutons n’ont pas sans doute été faits absolument pour être cuits et mangés, puisque plusieurs nations s’abstiennent de cette horreur. Les hommes ne sont pas créés essentiellement pour se massacrer, puisque les brames et les respectables primitifs qu’on nomme quakers ne tuent personne; mais la pâte dont nous sommes pétris produit souvent des massacres, comme elle produit des calomnies, des vanités, des persécutions, et des impertinences. Ce n’est pas que la formation de l’homme soit précisément la cause finale de nos fureurs et de nos sottises: car une cause finale est universelle et invariable en tout temps et en tout lieu; mais les horreurs et les absurdités de l’espèce humaine n’en sont pas moins dans l’ordre éternel des choses. Quand nous battons notre blé, le fléau est la cause finale de la séparation du grain. Mais si ce fléau, en battant mon blé, écrase mille insectes, ce n’est point par ma volonté déterminée, ce n’est pas non plus par hasard: c’est que ces insectes se sont trouvés cette fois sous mon fléau, et qu’ils devaient s’y trouver.
C’est une suite de la nature des choses, qu’un homme soit ambitieux, que cet homme enrégimente quelquefois d’autres hommes, qu’il soit vainqueur ou qu’il soit battu mais jamais on ne pourra dire: L’homme a été créé de Dieu pour être tué à la guerre.
Les instruments que nous a donnés la nature ne peuvent être toujours des causes finales en mouvement. Les yeux donnés pour voir ne sont pas toujours ouverts; chaque sens a ses temps de repos. Il y a même des sens dont on ne fait jamais d’usage. Par exemple, une malheureuse imbécile, enfermée dans un cloître à quatorze ans, ferme pour jamais chez elle la porte dont devait sortir une génération nouvelle; mais la cause finale n’en subsiste pas moins; elle agira dès qu’elle sera libre.