Destin – Schicksal (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Destin (Schicksal) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


De tous les livres de l’Occident qui sont parvenus jusqu’à nous le plus ancien est Homère; c’est là qu’on trouve les moeurs de l’antiquité profane, des héros grossiers, des dieux grossiers faits à l’image de l’homme; mais c’est là que, parmi les rêveries et les inconséquences, on trouve aussi les semences de la philosophie, et surtout l’idée du destin qui est maître des dieux, comme les dieux sont les maîtres du monde. Jupiter veut en vain sauver Hectore; il consulte les destinées; il pèse dans une balance les destins d’Hector et d’Achille: il trouve que le Troyen doit absolument être tué par le Grec; il ne peut s’y opposer et dès ce moment, Apollon, le génie gardien d’Hector, est obligé de l’abandonner (Illiade liv. 22). Ce n’est pas qu’Homère ne prodigue souvent, et surtout en ce même endroit, des idées toutes contraires, suivant le privilège de l’antiquité; mais enfin il est le premier chez qui on trouve la notion du destin. Elle était donc très en vogue de son temps.
Les pharisiens, chez le petit peuple juif, n’adoptèrent le destin que plusieurs siècles après car ces pharisiens eux-mêmes, qui furent les premiers lettrés d’entre les Juifs, étaient très nouveaux. Ils mêlèrent dans Alexandrie une partie des dogmes des stoïciens aux anciennes idées juives. Saint Jérôme prétend même que leur secte n’est pas beaucoup antérieure à notre ère vulgaire.
Les philosophes n’eurent jamais besoin ni d’Homère ni des pharisiens pour se persuader que tout se fait par des lois immuables, que tout est arrangé, que tout est un effet nécessaire. Voici comme ils raisonnaient.
Ou le monde subsiste par sa propre nature, par ses lois physiques, ou un être suprême l’a formé selon ses lois suprêmes: dans l’un et l’autre cas, ces lois sont immuables; dans l’un et l’autre cas, tout est nécessaire; les corps graves tendent vers le centre de la terre, sans pouvoir tendre à se reposer en l’air. Les poiriers ne peuvent jamais porter d’ananas. L’instinct d’un épagneul ne peut être l’instinct d’une autruche; tout est arrangé, engrené et limité.
L’homme ne peut avoir qu’un certain nombre de dents, de cheveux et d’idées; il vient un temps où il perd nécessairement ses dents, ses cheveux et ses idées.
Il est contradictoire que ce qui fut hier n’ait pas été, que ce qui est aujourd’hui ne soit pas; il est aussi contradictoire que ce qui doit être puisse ne pas devoir être.
Si tu pouvais déranger la destinée d’une mouche, il n’y aurait nulle raison qui pût t’empêcher de faire le destin de toutes les autres mouches, de tous les autres animaux, de tous les hommes, de toute la nature; tu te trouverais au bout du compte plus puissant que Dieu.
Des imbéciles disent: Mon médecin a tiré ma tante d’une maladie mortelle; il a fait vivre ma tante dix ans de plus qu’elle ne devait vivre. D’autres, qui font les capables, disent: L’homme prudent fait lui-même son destin.

Nullum numen abest, si sit prudentia, sed te
Nos facimus, fortuna, deam, coeloque locamus.


De profonds politiques assurent que si on avait assassiné Cromwell, Ludlow, Ireton, et une douzaine d’autres parlementaires, huit jours avant qu’on coupât la tête à Charles Ier, ce roi aurait pu vivre encore et mourir dans son lit: ils ont raison; ils peuvent ajouter encore que si toute l’Angleterre avait été engloutie dans la mer, ce monarque n’aurait pas péri sur un échafaud auprès de Whitehall, ou salle blanche; mais les choses étaient arrangées de façon que Charles devait avoir le cou coupé.
Le cardinal d’Ossat était sans doute plus prudent qu’un fou des petites-maisons; mais n’est-il pas évident que les organes du sage d’Ossat étaient autrement faits que ceux de cet écervelé? de même que les organes d’un renard sont différents de ceux d’une grue et d’une alouette.
Ton médecin a sauvé ta tante: mais certainement il n’a pas en cela contredit l’ordre de la nature: il l’a suivi. Il est clair que ta tante ne pouvait pas s’empêcher de naître dans une telle ville, qu’elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir dans un tel temps une certaine maladie, que le médecin ne pouvait pas être ailleurs que dans la ville où il était, que ta tante devait l’appeler, qu’il devait lui prescrire les drogues qui l’ont guérie, ou qu’on a cru l’avoir guérie, lorsque la nature était le seul médecin.
Un paysan croit qu’il a grêlé par hasard sur son champ; mais le philosophe sait qu’il n’y a point de hasard, et qu’il était impossible, dans la constitution de ce monde, qu’il ne grêlât pas ce jour-là en cet endroit.
Il y a des gens qui, étant effrayés de cette vérité, en accordent la moitié, comme des débiteurs qui offrent moitié à leurs créanciers, et demandent répit pour le reste. Il y a, disent-ils, des événements nécessaires, et d’autres qui ne le sont pas. Il serait plaisant qu’une partie de ce monde fût arrangée, et que l’autre ne le fût point; qu’une partie de ce qui arrive dût arriver, et qu’une autre partie de ce qui arrive ne dût pas arriver. Quand on y regarde de près, on voit que la doctrine contraire à celle du destin est absurde; mais il y a beaucoup de gens destinés à raisonner mal; d’autres, à ne point raisonner du tout; d’autres, à persécuter ceux qui raisonnent.
Vous me demandez ce que deviendra la liberté. Je ne vous entends pas. Je ne sais ce que c’est que cette liberté dont vous parlez; il y a si longtemps que vous disputez sur sa nature qu’assurément vous ne la connaissez pas. Si vous voulez, ou plutôt, si vous pouvez examiner paisiblement avec moi ce que c’est, passez à la lettre L.

Philosophisches Wörterbuch:
Caractère – Charakter (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Caractère (Charakter) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Du mot grec impression, gravure. C’est ce que la nature a gravé dans nous, pouvons nous l’effacer? Grande question. Si j’ai un nez de travers et deux yeux de chat, je peux les cacher avec un masque. Puis-je davantage sur le caractère que m’a donné la nature? Un homme né violent, emporté, se présente devant François Ier, roi de France, pour se plaindre d’un passe-droit; le visage du prince, le maintien respectueux des courtisans, le lieu même où il est, font une impression puissante sur cet homme; il baisse machinalement les yeux, sa voix rude s’adoucit, il présente humblement sa requête, on le croirait né aussi doux que le sont (dans ce moment au moins) les courtisans au milieu desquels il est même déconcerté; mais si François Ier se connaît en physionomie, il découvre aisément dans ses yeux baissés, mais allumés d’un feu sombre, dans les muscles tendus de son visage, dans ses lèvres serrées l’une contre l’autre, que cet homme n’est pas si doux qu’il est forcé de le paraître. Cet homme le suit à Pavie, est pris avec lui, mené avec lui en prison à Madrid: la majesté de François Ier ne fait plus sur lui la même impression; il se familiarise avec l’objet de son respect. Un jour en tirant les bottes du roi, et les tirant mal, le roi, aigri par son malheur, se fâche; mon homme envoie promener le roi, et jette ses bottes par la fenêtre.
Sixte-Quint était né pétulant, opiniâtre, altier, impétueux, vindicatif, arrogant: ce caractère semble adouci dans les épreuves de son noviciat. Commence-t-il à jouir de quelque crédit dans son ordre, il s’emporte contre un gardien, et l’assomme à coups de poing; est-il inquisiteur à Venise, il exerce sa charge avec insolence le voilà cardinal, il est possédé dalla rabia papale: cette rage l’emporte sur son naturel; il ensevelit dans l’obscurité sa personne et son caractère; il contrefait l’humble et le moribond; on l’élit pape: ce moment rend au ressort, que la politique avait plié, toute son élasticité longtemps retenue; il est le plus fier et le plus despotique des souverains.
Naturam expellas furca, tamen ipsa redibit.
La religion, la morale, mettent un frein à la force du naturel; elles ne peuvent le détruire. L’ivrogne dans un cloître, réduit à un demi-setier de cidre à chaque repas, ne s’enivrera plus, mais il aimera toujours le vin.
L’âge affaiblit le caractère; c’est un arbre qui ne produit plus que quelques fruits dégénérés, mais ils sont toujours de même nature; il se couvre de noeuds et de mousse, il devient vermoulu, mais il est toujours chêne ou poirier. Si on pouvait changer son caractère, ou s’en donnerait un, on serait le maître de la nature. Peut-on se donner quelque chose? ne recevons-nous pas tout? Essayez d’animer l’indolent d’une activité suivie, de glacer par l’apathie l’âme bouillante de l’impétueux, d’inspirer du goût pour la musique et pour la poésie à celui qui manque de goût et d’oreille, vous n’y parviendrez pas plus que si vous entrepreniez de donner la vue à un aveugle-né. Nous perfectionnons, nous adoucissons, nous cachons ce que la nature a mis dans nous; mais nous n’y mettons rien.
On dit à un cultivateur: Vous avez trop de poissons dans ce vivier, ils ne prospéreront pas; voilà trop de bestiaux dans vos prés, l’herbe manque, ils maigriront. Il arrive après cette exhortation que les brochets mangent la moitié des carpes de mon homme, et les loups la moitié de ses moutons; le reste engraisse. S’applaudira-t-il de son économie? Ce campagnard, c’est toi-même; une de tes passions a dévoré les autres, et tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans, qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre avec des filles, leur dit tout en colère: Messieurs, est-ce là l’exemple que je vous donne?

Baptême – Taufe (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Baptême (Taufe) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Baptême, mot grec qui signifie immersion. Les hommes, qui se conduisent toujours par les sens, imaginèrent aisément que ce qui lavait le corps lavait aussi l’âme. Il y avait de grandes cuves dans les souterrains des temples d’Égypte pour les prêtres et pour les initiés. Les Indiens, de temps immémorial, se plongeaient et se plongent encore dans le Gange et cette cérémonie est encore fort en vogue. Elle passa chez les Hébreux, on y baptisait tous les étrangers qui embrassaient la loi judaique et qui ne voulaient pas se soumettre á la circoncision, les femmes surtout à qui on ne faisait pas cette opération, et qui ne la subissaient qu’en Etiopie, étaient baptisées, c’était une regénération; cela donnait une nouvelle âme, ainsi qu’en Egypte. Voyez pour cela Epiphanie, Maimonides, et le Gemmare.
Jean baptisa dans le Jourdain, et même il baptisa Jesus, qui pourtant ne baptisa jamais personne, mais qui daigna conserver cette ancienne cérémonie. Tout signe est indifférent par lui-même et Dieu attache sa grâce au signe qu’il lui plait de choisir. Le Baptême fut bientôt le premier rite et le sceau de la religion Chrétienne. Cependant les quinze premiers évêques de Jérusalem furent tous circoncis, il n’est pas sûr qu’ils fussent baptises.
On abusa de ce sacrament dans les premiers siècles du christianisme, rien n’était plus commun que d’attendre l’agonie pour recevoir le Baptême. L’exemple de l’empereur Constantin en est une assez bonne preuve. Voici comme il raisonnait. Le Baptême purifie tout; je peux donc tuer ma femme, mon fils et tous mes parents, après quoi je me ferai baptiser, et j’irai au ciel, comme de fait il n’y manqua pas. Cet exemple était dangereux; peu á peu, la coutume s’abolit d’attendre la mort pour se mettre dans le bain sacré.
Les Grecs conservèrent toujours le baptême par immersion. Les Latins, vers la fin du viiie siècle, ayant étendu leur religion dans les Gaules et la Germanie, et voyant que l’immersion pouvait faire périr les enfants dans des pays froids, substituèrent la simple aspersion; ce qui les fit souvent anathématiser par l’Église grecque.
On demanda à saint Cyprien, évêque de Carthage, si ceux-là étaient réellement baptisés, qui s’étaient fait seulement arroser tout le corps. Il répond dans sa soixante et seizième lettre que « plusieurs Églises ne croyaient pas que ces arrosés fussent chrétiens; que pour lui il pense qu’ils sont chrétiens, mais qu’ils ont une grâce infiniment moindre que ceux qui ont été plongés trois fois selon l’usage. » On était initié chez les chrétiens dès qu’on avait été plongé; avant ce temps on n’était que catéchumène. Il fallait pour être initié avoir des répondants, des cautions qu’on appelait d’un nom qui répond à parrains, afin que l’Église s’assurât de la fidélité des nouveaux chrétiens, et que les mystères ne fussent point divulgués. C’est pourquoi, dans les premiers siècles, les gentils furent généralement aussi mal instruits des mystères des chrétiens que ceux-ci l’étaient des mystères d’Isis et de Cérès Éleusine.
Cyrille d’Alexandrie, dans son écrit contre l’empereur Julien, s’exprime ainsi: « Je parlerais de baptême, si je ne craignais que mon discours ne parvînt à ceux qui ne sont pas initiés. » Il n’y avait alors aucun culte qui n’eût ses mystères, ses associations, ses catéchumènes, ses initiés, ses profès. Chaque secte exigeait de nouvelles vertus, et recommandait à ses pénitents une nouvelle vie, initium novae vitae et de là le mot d’initiation. L’initiation des chrétiens et des chrétiennes était d’être plongés tout nus dans une cuve d’eau froide; la rémission de tous les péchés était attachée à ce signe. Mais la différence entre le baptême chrétien et les cérémonies grecques, syriennes, égyptiennes, romaines, était la même qu’entre la vérité et le mensonge. Jésus-Christ était le grand prêtre de la nouvelle loi.
Dès le seconde siècle on commença à baptiser des enfants; il était naturel que les chrétiens désirassent que leurs enfants, qui auraient été damnés sans ce sacrement, en fussent pourvus. On conclut enfin qu’il fallait le leur administrer au bout de huit jours, parce que, chez les Juifs, c’était à cet âge qu’ils étaient circoncis. L’Église grecque est encore dans cet usage.
Ceux qui mouraient dans la première semaine étaient damnés, selon les Pères de l’Église les plus rigoureux. Mais Pierre Chrysologue, au ve siècle, imagina les limbes, espèce d’enfer mitigé, et proprement bord d’enfer, faubourg d’enfer, où vont les petits enfants morts sans baptême, et où les patriarches restaient avant la descente de Jésus-Christ aux enfers. De sorte que l’opinion que Jésus-Christ était descendu aux limbes, et non aux enfers, a prévalu depuis.
Il a été agité si un chrétien dans les déserts d’Arabie pouvait être baptisé avec du sable? on a répondu que non: si on pouvait baptiser avec de l’eau rose? et on a décidé qu’il fallait de l’eau pure; que cependant on pouvait se servir d’eau bourbeuse. On voit aisément que toute cette discipline a dépendu de la prudence des premiers pasteurs qui l’ont établie.

Philosophisches Taschenwörterbuch:
Luxe – Luxus (Kommentare)

Hintergrund:
In diesem Artikel, wie in diversen anderen Werken, verteidigt Voltaire den Luxus. So in seinem Gedicht Le Mondain, seinen Schriften La Défense du Mondain ou apologie du Luxe; Observations sur MM Jean Lass, Melon et Dutor… le commerce, le luxe, les monnaies et les impôts; im Kapitel 81 des Essai sur les moeurs und in den Idées républicaines, seiner Antwort auf den contract social von Rousseau (1762).
Voltaire richtet sich vor allem gegen christliche Feinde des guten Lebens und Armutsprediger. Er zeigt, dass sich, was als Luxus empfunden wird, im Lauf der Zeit und abhängig von der sozialen Stellung stark verändert.

Die folgenden Kommentare zu einzelnen Textstellen beziehen sich mit ihren Seitenangaben auf die von uns bei Reclam herausgegebene Ausgabe des Philosophischen Taschenwörterbuchs (2020): :

Anmerkung 1 (Seite 289, 1 Absatz: „Möchten die Prediger, dass man den Reichtum verscharrt…?“):
Voltaire schrieb in seinen Republikanischen Ideen: „Ein Gesetz gegen den Luxus….hieße, das Handwerk um seinen rechtmäßigen Verdienst zu bringen, den es mit den Reichen macht; das hieße, diejenigen die ein Vermögen erworben haben, um ihr natürliches Rechts zu berauben, es zu nutzen; das hieße, jeglichen Gewerbefleiß zu ersticken, die Reichen und die Armen zugleich zu schikanieren“ (Voltaire, Rep. Ideen hrsg. v. Günther Mensching, XX). Das richtet sich gegen Rousseau, der die Luxusproduzenten als Produzenten ‚unnützer Dinge‘ bezeichnete, auf die er hohe Steuern zu erheben empfiehlt – als da wären: „Livréen, Equipagen, Spiegel, Kronleuchter, wertvolle Möbel, Stoffe und Vergoldungen, Ehrenhöfe und Gärten in Stadthotels, private Schauspiele aller Art und unnütze Berufe wie Possenreißer, Sänger und Gaukler“ (n. Fetscher, Rousseaus politische Philosophie, S.229).

Anmerkung 2 (S.289 „Der Luxus Athens hat in allen Bereichen bedeutende Menschen hervorgebracht“): Über die Vorteilhaftigkeit des Luxus schrieb Voltaire in der Schrift Observations sur MM Jean Lass, Melon et Dutor… le commerce, le luxe, les monnaies et les impôts, dass die hohe Staatsausgaben bei Colbert zur Kultivierung der Gesellschaft beigetragen hätten, denn: „Das Geld muss zirkulieren, um alle Handwerke zu entwickeln, um die Erzeugnisse der Menschen zu kaufen“. Es bringt also nichts, wenn man es zurückhält, spart, oder gar den Erwerb selbst verurteilt.

Anmerkung 3 (S.290, 1. Absatz: „Ich weiß nicht wie es kam, ..wo das Verbot, selbst gesäten Weizen zu exportieren, unerträglich ist..“): Voltaire wehrte sich ab 1759, als er in Ferney landwirtschaftliche Produkte nach Genf verkaufen wollte, gegen staatliche Exportverbote, er forderte Handelsfreiheit für den Weizen.

Anmerkung 4 (S.290, letzter Absatz: „was sagte man nicht alles gegen die Scheren, als sie erfunden wurden“): analoge Beispiele (eine Gabel zum Essen benutzen) finden sich etwa bei Norbert Elias (Geschichte der Zivilisation, 1.Bd, S.87), der nach A. Cabanès, Moeurs intimes du temps passé (1904), von dem kirchlichen Verdikt gegen eine byzantinische Prinzessin berichtet, nur weil sie zum Essen eine Gabel benutzt hatte. Voltaire hatte etwa über Dom Calmet Zugang zu kulturhistorischen Quellen dieser Art.



Athée – Atheismus (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Athée, Athéisme (Atheist, Atheismus) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Autrefois quiconque avait un secret dans un art courait risque de passer pour un sorcier; toute nouvelle secte était accusée d’égorger des enfants dans ses mystères; et tout philosophe qui s’écartait du jargon de l’école était accusé d’athéisme par les fanatiques et par les fripons, et condamné par les sots.
Anaxagore ose-t-il prétendre que le soleil n’est pas conduit par Apollon monté sur un quadrige; on l’appelle athée, et il est contraint de fuir.
Aristote est accusé d’athéisme par un prêtre; et ne pouvant faire punir son accusateur, il se retire à Chalcis. Mais la mort de Socrate est ce que l’histoire de la Grèce a de plus odieux.
Aristophane (cet homme que les commentateurs admirent parce qu’il était Grec, ne songeant pas que Socrate était Grec aussi), Aristophane fut le premier qui accoutuma les Athéniens à regarder Socrate comme un athée.
Ce poète comique, qui n’est ni comique ni poète, n’aurait pas été admis parmi nous à donner ses farces à la foire Saint-Laurent; il me paraît beaucoup plus bas et plus méprisable que Plutarque ne le dépeint. Voici ce que le sage Plutarque dit de ce farceur: „Le langage d’Aristophane sent son misérable charlatan: ce sont les pointes les plus basses et les plus dégoûtantes; il n’est pas même plaisant pour le peuple, et il est insupportable aux gens de jugement et d’honneur; on ne peut souffrir son arrogance, et les gens de bien détestent sa malignité.“
C’est donc là, pour le dire en passant, le Tabarin que Mme Dacier, admiratrice de Socrate, ose admirer: voilà l’homme qui prépara de loin le poison dont des juges infâmes firent périr l’homme le plus vertueux de à Grèce.
Les tanneurs, les cordonniers et les couturières d’Athènes applaudirent à une farce dans laquelle on représentait Socrate élevé en l’air dans un panier, annonçant qu’il n’y avait point de Dieu, et se vantant d’avoir volé un manteau en enseignant la philosophie. Un peuple entier, dont le mauvais gouvernement autorisait de si infâmes licences, méritait bien ce qui lui est arrivé, de devenir l’esclave des Romains, et de l’être aujourd’hui des Turcs: Les Russes, que la Grèce aurait autrefois appelés barbares, et qui la protègent aujourd’hui, n’auraient ni empoisonné Socrate ni condamné à mort Alcibiade.
Franchissons tout l’espace des temps entre la république romaine et nous. Les Romains, bien plus sages que les Grecs, n’ont jamais persécuté aucun philosophe pour ses opinions. Il n’en est pas ainsi chez les peuples barbares qui ont succédé à l’empire romain. Dès que l’empereur Frédéric II a des querelles avec les papes, on l’accuse d’être athée, et d’être l’auteur du livre des Trois imposteurs, conjointement avec son chancelier De Vineis.
Notre grand chancelier de L’Hospital se déclare-t-il contre les persécutions, on l’accuse aussitôt d’athéisme, Homo doctus, sed verus atheus. Un jésuite autant au-dessous d’Aristophane qu’Aristophane est au-dessous d’Homère, un malheureux dont le nom est devenu ridicule parmi les fanatiques mêmes, le jésuite Garasse, en un mot, trouve partout des athéistes; c’est ainsi qu’il nomme tous ceux contre lesquels il se déchaîne. Il appelle Théodore de Bèze athéiste; c’est lui qui a induit le public en erreur sur Vanini.
La fin malheureuse de Vanini ne nous émeut point d’indignation et de pitié comme celle de Socrate, parce que Vanini n’était qu’un pédant étranger sans mérite; mais enfin Vanini n’était point athée comme on l’a prétendu; il était précisément tout le contraire.
C’était un pauvre prêtre napolitain, prédicateur et théologien de son métier, disputeur à outrance sur les quiddités et sur les universaux et utrum chimera bombinans in vacuo possit comedere secundas intentiones. Mais d’ailleurs, il n’y avait en lui veine qui tendît à l’athéisme. Sa notion de Dieu est de la théologie la plus saine et la plus approuvée. „Dieu est son principe et sa fin, père de l’un et de l’autre, et n’ayant besoin ni de l’un ni de l’autre; éternel sans être dans le temps, présent partout sans être en aucun lieu. Il n’y a pour lui ni passé ni futur; il est partout et hors de tout, gouvernant tout, et ayant tout créé, immuable, infini sans parties; son pouvoir est sa volonté, etc.“ Cela n’est pas bien philosophique, mais cela est de la théologie la plus approuvée.
Vanini se piquait de renouveler ce beau sentiment de Platon embrassé par Averroès, que Dieu avait créé une chaîne d’êtres depuis le plus petit jusqu’au plus grand, dont le dernier chaînon est attaché à son trône éternel; idée, à la vérité, plus sublime que vraie, mais qui est aussi éloignée de l’athéisme que l’être du néant.
Il voyagea pour faire fortune et pour disputer; mais malheureusement la dispute est le chemin opposé à la fortune; on se fait autant d’ennemis irréconciliables qu’on trouve de savants ou de pédants contre lesquels on argumente. Il n’y eut point d’autre source du malheur de Vanini; sa chaleur et sa grossièreté dans la dispute lui valurent la haine de quelques théologiens; et ayant eu une querelle avec un nommé Francon, ou Franconi, ce Francon, ami de ses ennemis, ne manqua pas de l’accuser d’être athée enseignant l’athéisme.
Ce Francon ou Franconi, aidé de quelques témoins, eut la barbarie de soutenir à la confrontation ce qu’il avait avancé. Vanini sur la sellette, interrogé sur ce qu’il pensait de l’existence de Dieu, répondit qu’il adorait avec l’Église un Dieu en trois personnes. Ayant pris à terre une paille: « Il suffit de ce fétu, dit-il, pour prouver qu’il y a un créateur. » Alors il prononça un très beau discours sur la végétation et le mouvement, et sur la nécessité d’un Être suprême, sans lequel il n’y aurait ni mouvement ni végétation.
Le président Grammont, qui était alors à Toulouse, rapporte ce discours dans son Histoire de France, aujourd’hui si oubliée; et ce même Grammont, par un préjugé inconcevable, prétend que Vanini disait tout cela par vanité, ou par crainte, plutôt que par une persuasion intérieure.
Sur quoi peut être fondé ce jugement téméraire et atroce du président Grammont? Il est évident que sur la réponse de Vanini on devait l’absoudre de l’accusation d’athéisme. Mais qu’arriva-t-il? ce malheureux prêtre étranger se mêlait aussi de médecine: on trouva un gros crapaud vivant, qu’il conservait chez lui dans un vase plein d’eau; on ne manqua pas de l’accuser d’être sorcier. On soutint que ce crapaud était le dieu qu’il adorait; on donna un sens impie à plusieurs passages de ses livres, ce qui est très aisé et très commun, en prenant des objections pour les réponses, en interprétant avec malignité quelque phrase louche, en empoisonnant une expression innocente. Enfin la faction qui l’opprimait arracha des juges l’arrêt qui condamna ce malheureux à la mort.
Pour justifier cette mort, il fallait bien accuser cet infortuné de ce qu’il y avait de plus affreux. Le minime et très minime Mersenne a poussé la démence jusqu’à imprimer que Vanini était parti de Naples avec douze de ses apôtres pour aller convertir toutes les nations à l’athéisme. Quelle pitié! comment un pauvre prêtre aurait-il pu avoir douze hommes à ses gages? comment aurait-il pu persuader douze Napolitains de voyager à grands frais pour répandre partout cette doctrine révoltante au péril de leur vie? Un roi serait-il assez puissant pour payer douze prédicateurs d’athéisme? Personne, avant le P. Mersenne, n’avait avancé une si énorme absurdité. Mais après lui on l’a répétée, on en a infecté les journaux, les dictionnaires historiques; et le monde, qui aime l’extraordinaire, a cru cette fable sans examen.
Bayle lui-même, dans ses Pensées diverses, parle de Vanini comme d’un athée: il se sert de cet exemple pour appuyer son paradoxe qu’une société d’athées peut subsister; il assure que Vanini était un homme de moeurs très réglées, et qu’il fut le martyr de son opinion philosophique. Il se trompe également sur ces deux points Le prêtre Vanini nous apprend dans ses Dialogues, faits à l’imitation d’Érasme, qu’il avait eu une maîtresse nommée Isabelle. Il était libre dans ses écrits comme dans sa conduite; mais il n’était point athée.
Un siècle après sa mort, le savant La Croze, et celui qui a pris le nom de Philalète, ont voulu le justifier; mais, comme personne ne s’intéresse à la mémoire d’un malheureux Napolitain, très mauvais auteur, presque personne ne lit ces apologies.
Le jésuite Hardouin, plus savant que Garasse, et non moins téméraire, accuse d’athéisme, dans son livre intitulé Athei detecti, les Descartes, les Arnauld, les Pascal, les Nicole, les Malebranche: heureusement ils n’ont pas eu le sort de Vanini.
De tous ces faits, je passe à la question de morale agitée par Bayle, savoir, si une société d’athées pourrait subsister? Remarquons d’abord sur cet article, quelle est l’énorme contradiction des hommes dans la dispute: ceux qui se sont élevés contre l’opinion de Bayle avec le plus d’emportement. Ceux qui lui ont nié avec le plus d’injures la possibilité d’une société d’athées, ont soutenu depuis avec la même intrépidité que l’athéisme est la religion du gouvernement de la Chine.
Ils se sont assurément bien trompés sur le gouvernement chinois; ils n’avaient qu’à lire les édits des empereurs de ce vaste pays, ils auraient vu que ces édits sont des sermons, et que partout il y est parlé de l’Être suprême, gouverneur, vengeur et rémunérateur.
Mais en même temps ils ne se sont pas moins trompés sur l’impossibilité d’une société d’athées; et je ne sais comment M. Bayle a pu oublier un exemple frappant qui aurait pu rendre sa cause victorieuse.
En quoi une société d’athées paraît-elle impossible? C’est qu’on juge que des hommes qui n’auraient pas de frein ne pourraient jamais vivre ensemble; que les lois ne peuvent rien contre les crimes secrets; qu’il faut un Dieu vengeur qui punisse dans ce monde-ci ou dans l’autre les méchants échappés à la justice humaine.
Les lois de Moïse, il est vrai, n’enseignaient point une vie à venir, ne menaçaient point de châtiments après la mort, n’enseignaient point aux premiers Juifs l’immortalité de l’âme; mais les Juifs, loin d’être athées, loin de croire se soustraire à la vengeance divine, étaient les plus religieux de tous les hommes. Non seulement ils croyaient l’existence d’un Dieu éternel, mais ils le croyaient toujours présent parmi eux; ils tremblaient d’être punis dans eux-mêmes, dans leurs femmes, dans leurs enfants, dans leur postérité, jusqu’à la quatrième génération: ce frein était très puissant.
Mais, chez les gentils, plusieurs sectes n’avaient aucun frein les sceptiques doutaient de tout; les académiciens suspendaient leur jugement sur tout; les épicuriens étaient persuadés que la Divinité ne pouvait se mêler des affaires des hommes, et, dans le fond, ils n’admettaient aucune divinité. Ils étaient convaincus que l’âme n’est point une substance, mais une faculté qui naît et qui périt avec le corps; par conséquent ils n’avaient aucun joug que celui de la morale et de l’honneur. Les sénateurs et les chevaliers romains étaient de véritables athées, car les dieux n’existaient pas pour des hommes qui ne craignaient ni n’espéraient rien d’eux. Le sénat romain était donc réellement une assemblée d’athées du temps de César et de Cicéron.
Ce grand orateur, dans sa harangue pour Cluentius, dit à tout le sénat assemblé: Quel mal lui fait la mort? nous rejetons toutes les fables ineptes des enfers: qu’est-ce donc que la mort lui a ôté? rien que le sentiment des douleurs.
César, l’ami de Catilina, voulant sauver la vie de son ami contre ce même Cicéron, ne lui objecte-t-il pas que ce n’est point punir un criminel que de le faire mourir, que la mort n’est rien, que c’est seulement la fin de nos maux, que c’est un moment plus heureux que fatal? Cicéron et tout le sénat ne se rendent-ils pas à ces raisons? Les vainqueurs et les législateurs de l’univers connu formaient donc visiblement une société d’hommes qui ne craignaient rien des dieux, qui étaient de véritables athées.
Bayle examine ensuite si l’idolâtrie est plus dangereuse que l’athéisme; si c’est un crime plus grand de ne point croire à la Divinité que d’avoir d’elle des opinions indignes: il est en cela du sentiment de Plutarque; il croit qu’il vaut mieux n’avoir nulle opinion qu’une mauvaise opinion; mais, n’en déplaise à Plutarque, il est évident qu’il valait infiniment mieux pour les Grecs de craindre Cérès, Neptune et Jupiter, que de ne rien craindre du tout. Il est clair que la sainteté des serments est nécessaire, et qu’on doit se fier davantage à ceux qui pensent qu’un faux serment sera puni, qu’à ceux qui pensent qu’ils peuvent faire un faux serment avec impunité. Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d’avoir une religion, même mauvaise, que de n’en avoir point du tout.
Il paraît donc que Bayle devait plutôt examiner quel est le plus dangereux, du fanatisme, ou de l’athéisme. Le fanatisme est certainement mille fois plus funeste; car l’athéisme n’inspire point de passion sanguinaire, mais le fanatisme en inspire; l’athéisme ne s’oppose pas aux crimes, mais le fanatisme les fait commettre. Supposons, avec l’auteur du Commentarium rerum Gallicarum, que le chancelier de L’Hospital fût athée; il n’a fait que de sages lois, et n’a conseillé que la modération et la concorde: les fanatiques commirent les massacres de la Saint-Barthélemy. Hobbes passa pour un athée; il mena une vie tranquille et innocente: les fanatiques de son temps inondèrent de sang l’Angleterre, l’Écosse, et l’Irlande. Spinosa était non seulement athée, mais il enseigna l’athéisme: ce ne fut pas lui assurément qui eut part à l’assassinat juridique de Barneveldt; ce ne fut pas lui qui déchira les deux frères de Wit en morceaux, et qui les mangea sur le gril.
Les athées sont pour la plupart des savants hardis et égarés qui raisonnent mal, et qui, ne pouvant comprendre la création, l’origine du mal, et d’autres difficultés, ont recours à l’hypothèse de l’éternité des choses et de la nécessité.
Les ambitieux, les voluptueux, n’ont guère le temps de raisonner et d’embrasser un mauvais système; ils ont autre chose à faire qu’à comparer Lucrèce avec Socrate. C’est ainsi que vont les choses parmi nous.
Il n’en était pas ainsi du sénat de Rome, qui était presque tout composé d’athées de théorie et de pratique, c’est-à-dire qui ne croyaient ni à la Providence ni à une vie future; ce sénat était une assemblée de philosophes, de voluptueux et d’ambitieux, tous très dangereux, et qui perdirent la république. L’épicuréisme subsista sous les empereurs: les athées du sénat avaient été des factieux dans les temps de Sylla et de César; ils furent sous Auguste et Tibère des athées esclaves.
Je ne voudrais pas avoir affaire à un prince athée, qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier: je suis bien sûr que je serais pilé. Je ne voudrais pas, si j’étais souverain, avoir affaire à des courtisans athées, dont l’intérêt serait de m’empoisonner: il me faudrait prendre au hasard du contre-poison tous les jours. Il est donc absolument nécessaire pour les princes et pour les peuples, que l’idée d’un Être suprême, créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits.
Il y a des peuples athées, dit Bayle dans ses Pensées sur les comètes. Les Cafres, les Hottentots, les Topinambous, et beaucoup d’autres petites nations, n’ont point de Dieu: ils ne le nient ni ne l’affirment; ils n’en ont jamais entendu parler. Dites-leur qu’il y en a un, ils le croiront aisément; dites-leur que tout se fait par la nature des choses, ils vous croiront de même. Prétendre qu’ils sont athées est la même imputation que si l’on disait qu’ils sont anticartésiens; ils ne sont ni pour ni contre Descartes. Ce sont de vrais enfants; un enfant n’est ni athée ni déiste, il n’est rien.
Quelle conclusion tirerons-nous de ceci? Que l’athéisme est un monstre très pernicieux dans ceux qui gouvernent; qu’il l’est aussi dans les gens de cabinet, quoique leur vie soit innocente, parce que de leur cabinet ils peuvent percer jusqu’à ceux qui sont en place; que, s’il n’est pas si funeste que le fanatisme, il est presque toujours fatal à la vertu. Ajoutons surtout qu’il y a moins d’athées aujourd’hui que jamais, depuis que les philosophes ont reconnu qu’il n’y a aucun être végétant sans germe, aucun germe sans dessein, etc., et que le blé ne vient point de pourriture.
Des géomètres non philosophes ont rejeté les causes finales, mais les vrais philosophes les admettent; et, comme l’a dit un auteur connu, un catéchiste annonce Dieu aux enfants, et Newton le démontre aux sages.

Apocalypse – Apokalypse (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Apocalypse (Apokalypse) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Justin le martyr, qui écrivait vers l’an 270 de notre ère, est le premier qui ait parlé de l’Apocalypse; il l’attribue à l’apôtre Jean l’évangéliste: dans son dialogue avec Tryphon, ce Juif lui demande s’il ne croit pas que Jérusalem doit être rétablie un jour. Justin lui répond qu’il le croit ainsi avec tous les chrétiens qui pensent juste. Il y a eu, dit-il, parmi nous un certain personnage nommé Jean, l’un des douze apôtres de Jésus; il a prédit que les fidèles passeront mille ans dans Jérusalem.
Ce fut une opinion longtemps reçue parmi les chrétiens que ce règne de mille ans. Cette période était en grand crédit chez les Gentils. Les âmes des Égyptiens reprenaient leurs corps au bout de mille années; les âmes du purgatoire, chez Virgile, étaient exercées pendant ce même espace de temps, et mille per annos. La nouvelle Jérusalem de mille années devait avoir douze portes, en mémoire des douze apôtres; sa forme devait être carrée; sa longueur, sa largeur et sa hauteur devaient être de douze mille stades, c’est-à-dire cinq cents lieues, de façon que les maisons devaient avoir aussi cinq cents lieues de haut. Il eût été assez désagréable de demeurer au dernier étage; mais enfin c’est ce que dit l’Apocalypse au chapitre XXI.
Si Justin est le premier qui attribua l’Apocalypse à saint Jean, quelques personnes ont récusé son témoignage, attendu que dans ce même dialogue avec le Juif Tryphon, il dit que, selon le récit des apôtres, Jésus-Christ, en descendant dans le Jourdain, fit bouillir les eaux de ce fleuve, et les enflamma, ce qui pourtant ne se trouve dans aucun écrit des apôtres.
Le même saint Justin cite avec confiance les oracles des sibylles; de plus, il prétend avoir vu les restes des petites maisons où furent enfermés les soixante et douze interprètes dans le phare d’Égypte, du temps d’Hérode. Le témoignage d’un homme qui a eu le malheur de voir ces petites maisons, semble indiquer que l’auteur devait y être renfermé.
Saint Irénée, qui vient après, et qui croyait aussi le règne de mille ans, dit qu’il a appris d’un vieillard que saint Jean avait fait l’Apocalypse. Mais on a reproché à saint Irénée d’avoir écrit qu’il ne doit y avoir que quatre Évangiles, parce qu’il n’y a que quatre parties du monde et quatre vents cardinaux, et qu’Ézéchiel n’a vu que quatre animaux. Il appelle ce raisonnement une démonstration. Il faut avouer que la manière dont Irénée démontre vaut bien celle dont Justin a vu.
Clément d’Alexandrie ne parle dans ses Electa que d’une Apocalypse de saint Pierre dont on faisait très grand cas. Tertullien, un des grands partisans du règne de mille ans, non seulement assure que saint Jean a prédit cette résurrection et ce règne de mille ans dans la ville de Jérusalem, mais il prétend que cette Jérusalem commençait déjà à se former dans l’air; que tous les chrétiens de la Palestine, et même les païens, l’avaient vue pendant quarante jours de suite à la fin de la nuit: mais malheureusement la ville disparaissait dès qu’il était jour.
Origène, dans sa préface sur l’Évangile de saint Jean, et dans ses Homélies, cite les oracles de l’Apocalypse; mais il cite également les oracles des sibylles. Cependant saint Denys d’Alexandrie, qui écrivait vers le milieu du iiie siècle, dit dans un de ses fragments, conservés par Eusèbe, que presque tous les docteurs rejetaient l’Apocalypse comme un livre destitué de raison; que ce livre n’a point été composé par saint Jean mais par un nommé Cérinthe, lequel s’était servi d’un grand nom, pour donner plus de poids à ses rêveries.
Le concile de Laodicée, tenu en 360, ne compta point l’Apocalypse parmi les livres canoniques. Il était bien singulier que Laodicée, qui était une Église à qui l’Apocalypse était adressée, rejetât un trésor destiné pour elle; et que l’évêque d’Éphèse, qui assistait au concile, rejetât aussi ce livre de saint Jean enterré dans Éphèse.
Il était visible à tous les yeux que saint Jean se remuait toujours dans sa fosse, et faisait continuellement hausser et baisser la terre.
Cependant les mêmes personnages qui étaient sûrs que saint Jean n’était pas bien mort, étaient sûrs aussi qu’il n’avait pas fait l’Apocalypse. Mais ceux qui tenaient pour le règne de mille ans, furent inébranlables dans leur opinion. Sulpice Sévère, dans son Histoire sacrée, livre 9, traite d’insensés et d’impies ceux qui ne recevaient pas l’Apocalypse. Enfin, après bien des oppositions de concile à concile, l’opinion de Sulpice Sévère a prévalu. La matière ayant été éclaircie, l’Église a décidé que l’Apocalypse est incontestablement de saint Jean: ainsi il n’y a pas d’appel.
Chaque communion chrétienne s’est attribué les prophéties contenues dans ce livre; les Anglais y ont trouvé les révolutions de la Grande-Bretagne; les luthériens, les troubles d’Allemagne; les réformés de France, le règne de Charles IX et la régence de Catherine de Médicis: ils ont tous également raison. Bossuet et Newton ont commenté tous deux l’Apocalypse; mais, à tout prendre, les déclamations éloquentes de l’un, et les sublimes découvertes de l’autre, leur ont fait plus d’honneur que leurs commentaires.

Anthropophages – Menschenfresser (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Anthropophages (Menschenfresser) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Nous avons parlé de l’amour. Il est dur de passer de gens qui se baisent à gens qui se mangent. Il n’est que trop vrai qu’il y a eu des anthropophages; nous en avons trouvé en Amérique; il y en a peut-être encore, et les cyclopes n’étaient pas les seuls dans l’antiquité qui se nourrissaient quelquefois de chair humaine. Juvénal (Sat. XV, v. 83) rapporte que chez les Égyptiens, ce peuple si sage, si renommé pour les lois, ce peuple si pieux qui adorait des crocodiles et des oignons, les Tintirites mangèrent un de leurs ennemis tombé entre leurs mains; il ne fait pas ce conte sur un ouï-dire, ce crime fut commis presque sous ses yeux; il était alors en Égypte, et à peu de distance de Tintire. Il cite, à cette occasion, les Gascons et les Sagontins qui se nourrirent autrefois de la chair de leurs compatriotes.
En 1725 on amena quatre sauvages du Mississipi à Fontainebleau, j’eus l’honneur de les entretenir; il y avait parmi eux une dame du pays, à qui je demandai si elle avait mangé des hommes; elle me répondit très naïvement qu’elle en avait mangé. Je parus un peu scandalisé; elle s’excusa en disant qu’il valait mieux manger son ennemi mort que de le laisser dévorer aux bêtes, et que les vainqueurs méritaient d’avoir la préférence. Nous tuons en bataille rangée ou non rangée nos voisins, et pour la plus vile récompense nous travaillons à la cuisine des corbeaux et des vers. C’est là qu’est l’horreur, c’est là qu’est le crime; qu’importe quand on est tué d’être mangé par un soldat, ou par un corbeau et un chien?
Nous respectons plus les morts que les vivants. Il aurait fallu respecter les uns et les autres. Les nations qu’on nomme policées ont eu raison de ne pas mettre leurs ennemis vaincus à la broche; car s’il était permis de manger ses voisins, on mangerait bientôt ses compatriotes; ce qui serait un grand inconvénient pour les vertus sociales Mais les nations policées ne l’ont pas toujours été; toutes ont été longtemps sauvages; et dans le nombre infini de révolutions que ce globe a éprouvées, le genre humain a été tantôt nombreux, tantôt très rare. Il est arrivé aux hommes ce qui arrive aujourd’hui aux éléphants, aux lions, aux tigres dont l’espèce a beaucoup diminué. Dans les temps où une contrée était peu peuplée d’hommes, ils avaient peu d’art, ils étaient chasseurs. L’habitude de se nourrir de ce qu’ils avaient tué, fit aisément qu’ils traitèrent leurs ennemis comme leurs cerfs et leurs sangliers. C’est la superstition qui a fait immoler des victimes humaines, c’est la nécessité qui les a fait manger.
Quel est le plus grand crime, ou de s’assembler pieusement pour plonger un couteau dans le coeur d’une jeune fille ornée de bandelettes, à l’honneur de la Divinité, ou de manger un vilain homme qu’on a tué à son corps défendant?
Cependant nous avons beaucoup plus d’exemples de filles et de garçons sacrifiés, que de filles et de garçons mangés: presque toutes les nations connues ont sacrifié des garçons et des filles. Les Juifs en immolaient. Cela s’appelait l’anathème; c’était un véritable sacrifice, et il est ordonné au vingt-et-unième chapitre du Lévitique de ne point épargner les âmes vivantes qu’on aura vouées; mais il ne leur est prescrit en aucun endroit d’en manger, on les en menace seulement: Moïse, comme nous avons vu, dit aux Juifs que, s’ils n’observent pas ses cérémonies, non seulement ils auront la gale, mais que les mères mangeront leurs enfants. Il est vrai que du temps d’Ézéchiel les Juifs devaient être dans l’usage de manger de la chair humaine, car il leur prédit, au chapitre xxxix, que Dieu leur fera manger non seulement les chevaux de leurs ennemis, mais encore les cavaliers et les autres guerriers. Et en effet, pourquoi les Juifs n’auraient-ils pas été anthropophages? C’eût été la seule chose qui eût manqué au peuple de Dieu pour être le plus abominable peuple de la terre J’ai lû dans des anecdotes de l’histoire d’Angleterre du temps de Cromwell qu’une chandelière de Dublin vendait d’excellentes chandèles faites avec de la graisse d’Anglais. Quelque temps après un de ses chalands se plaignit de ce que sa chandèle n’était plus si bonne. Hélas! dit-elle, c’est que les Anglais nous ont manqué ce mois-ci. Je demande qui était le plus coupable, ou ceux qui égorgeaient des Anglais, ou cette femme qui faisait des chandèles avec leur suif?

Préjugés-Vorurteile (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Préjugés (Vorurteile) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Le préjugé est une opinion sans jugement. Ainsi dans toute la terre on inspire aux enfants toutes les opinions qu’on veut, avant qu’ils puissent juger.
Il y a des préjugés universels, nécessaires, et qui font la vertu même. Par tout pays on apprend aux enfants à reconnaître un Dieu rémunérateur et vengeur; à respecter, à aimer leur père et leur mère; à regarder le larcin comme un crime, le mensonge intéressé comme un vice, avant qu’ils puissent deviner ce que c’est qu’un vice et une vertu.
Il y a donc de très bons préjugés; ce sont ceux que le jugement ratifie quand on raisonne.
Sentiment n’est pas simple préjugé; c’est quelque chose de bien plus fort. Une mère n’aime pas son fils parce qu’on lui dit qu’il le faut aimer, elle le chérit heureusement malgré elle. Ce n’est point par préjugé que vous courez au secours d’un enfant inconnu prêt à tomber dans un précipice, ou à être dévoré par une bête.
Mais c’est par préjugé que vous respecterez un homme revêtu de certains habits, marchant gravement, parlant de même. Vos parents vous ont dit que vous deviez vous incliner devant cet homme; vous le respectez avant de savoir s’il mérite vos respects: vous croissez en âge et en connaissances; vous vous apercevez que cet homme est un charlatan pétri d’orgueil, d’intérêt et d’artifice; vous méprisez ce que vous révériez, et le préjugé cède au jugement. Vous avez cru par préjugé les fables dont on a bercé votre enfance; on vous a dit que les Titans firent la guerre aux dieux, et que Vénus fut amoureuse d’Adonis; vous prenez à douze ans ces fables pour des vérités; vous les regardez à vingt ans comme des allégories ingénieuses.
Examinons en peu de mots les différentes sortes de préjugés, afin de mettre de l’ordre dans nos affaires. Nous serons peut-être comme ceux qui, du temps du système de Law, s’aperçurent qu’ils avaient calculé des richesses imaginaires.

Préjugés des sens.
N’est-ce pas une chose plaisante que nos yeux nous trompent toujours, lors même que nous voyons très bien, et qu’au contraire nos oreilles ne nous trompent pas? Que votre oreille bien conformée entende: Vous êtes belle, je vous aime; il est bien sûr qu’on ne vous a pas dit: Je vous hais, vous êtes laide. Mais vous voyez un miroir uni; il est démontré que vous vous trompez, c’est une surface très raboteuse. Vous voyez le soleil d’environ deux pieds de diamètre; il est démontré qu’il est un million de fois plus gros que la terre.
Il semble que Dieu ait mis la vérité dans vos oreilles, et l’erreur dans vos yeux; mais étudiez l’optique, et vous verrez que Dieu ne vous a pas trompé, et qu’il est impossible que les objets vous paraissent autrement que vous les voyez dans l’état présent des choses.

Préjugés physiques.
Le soleil se lève, la lune aussi, la terre est immobile: ce sont là des préjugés physiques naturels. Mais que les écrevisses soient bonnes pour le sang, parce qu’étant cuites elles sont rouges comme lui; que les anguilles guérissent la paralysie, parce qu’elles frétillent; que la lune influe sur nos maladies, parce qu’un jour on observa qu’un malade avait eu un redoublement de fièvre pendant le décours de la lune: ces idées et mille autres ont été des erreurs d’anciens charlatans, qui jugèrent sans raisonner, et qui, étant trompés, trompèrent les autres.

Préjugés historiques.
La plupart des histoires ont été crues sans examen, et cette créance est un préjugé. Fabius Pictor raconte que, plusieurs siècles avant lui, une vestale de la ville d’Albe, allant puiser de l’eau dans sa cruche, fut violée, qu’elle accoucha de Romulus et de Rémus, qu’ils furent nourris par une louve, etc. Le peuple romain crut cette fable; il n’examina point si dans ce temps-là il y avait des vestales dans le Latium, s’il était vraisemblable que la fille d’un roi sortît de son couvent avec sa cruche, s’il était probable qu’une louve allaitât deux enfants au lieu de les manger; le préjugé s’établit.
Un moine écrit que Clovis, étant dans un grand danger à la bataille de Tolbiac, fit voeu de se faire chrétien s’il en réchappait; mais est-il naturel qu’on s’adresse à un dieu étranger dans une telle occasion? n’est-ce pas alors que la religion dans laquelle on est né agit le plus puissamment? Quel est le chrétien qui, dans une bataille contre les Turcs, ne s’adressera pas plutôt à la sainte Vierge qu’à Mahomet? On ajoute qu’un pigeon apporta la sainte ampoule dans son bec pour oindre Clovis, et qu’un ange apporta l’oriflamme pour le conduire; le préjugé crut toutes les historiettes de ce genre. Ceux qui connaissent la nature humaine savent bien que l’usurpateur Clovis, et l’usurpateur Rolon ou Rol, se firent chrétiens pour gouverner plus sûrement des chrétiens, comme les usurpateurs turcs se firent musulmans pour gouverner plus sûrement les musulmans.

Préjugés religieux.
Si votre nourrice vous a dit que Cérès préside aux blés, ou que Vistnou et Xaca se sont faits hommes plusieurs fois, ou que Sammonocodom est venu couper une forêt, ou qu’Odin vous attend dans sa salle vers le Jutland, ou que Mahomet ou quelque autre a fait un voyage dans le ciel; enfin si votre précepteur vient ensuite enfoncer dans votre cervelle ce que votre nourrice y a gravé, vous en tenez pour votre vie. Votre jugement veut-il s’élever contre ces préjugés, vos voisins, et surtout vos voisines crient à l’impie, et vous effrayent; votre derviche, craignant de voir diminuer son revenu, vous accuse auprès du cadi, et ce cadi vous fait empaler s’il le peut, parce qu’il veut commander à des sots, et qu’il croit que les sots obéissent mieux que les autres: et cela durera jusqu’à ce que vos voisins, et le derviche, et le cadi, commencent à comprendre que la sottise n’est bonne à rien, et que la persécution est abominable.

Miracles-Wunder (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Miracles (Wunder) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Un miracle, selon l’énergie du mot, est une chose admirable. En ce cas, tout est miracle. L’ordre prodigieux de la nature, la rotationde cent millions de globes autour d’un million de soleils, l’activitéde la lumière, la vie des animaux, sont des miracles perpétuels.
Selon les idées reçues, nous appelons miracle la violationde ces lois divines et éternelles. Qu’il y ait une éclipsede soleil pendant la pleine lune, qu’un mort fasse à pied deux lieuesde chemin en portant sa tête entre ses bras, nous appelons cela unmiracle.
Plusieurs physiciens soutiennent qu’en ce sens il n’y a point de miracles,et voici leurs arguments.
Un miracle est la violation des lois mathématiques, divines,immuables, éternelles. Par ce seul exposé, un miracle est une contradiction dans les termes une loi ne peut être à lafois immuable et violée. Mais une loi, leur dit-on, étant établie par Dieu même, ne peut-elle être suspendue parson auteur? Ils ont la hardiesse de répondre que non, et qu’il est impossible que l’Être infiniment sage ait fait des lois pour les violer. Il ne pouvait, disent-ils, déranger sa machine que pour la faire mieux aller; or il est clair qu’étant Dieu, il a fait cette immense machine aussi bonne qu’il l’a pu: s’il a vu qu’il y aurait quelque imperfection résultante de la nature du la matière,il y a pourvu dès le commencement; ainsi il n’y changera jamais rien.
De plus, Dieu ne peut rien faire sans raison; or quelle raison le porterait à défigurer pour quelque temps son propre ouvrage?
« C’est en faveur des hommes, leur dit-on. — C’est donc au moins en faveur de tous les hommes, répondent-ils; car il est impossible de concevoir que la nature divine travaille pour quelques hommes en particulier,et non pas pour tout le genre humain: encore même le genre humain est bien peu de chose: il est beaucoup moindre qu’une petite fourmilière en comparaison de tous les êtres qui remplissent l’immensité. Or n’est-ce pas la plus absurde des folies d’imaginer que l’Être infini intervertisse en faveur de trois ou quatre centaines de fourmis,sur ce petit amas de fange, le jeu éternel de ces ressorts immenses qui font mouvoir tout l’univers?
« Mais supposons que Dieu ait voulu distinguer un petit nombre d’hommes par des faveurs particulières; faudra-t-il qu’il change ce qu’il a établi pour tous les temps et pour tous les lieux? Il n’a certes aucun besoin de ce changement, de cette circonstance, pour favoriser ses créatures; ses faveurs sont dans ses lois mêmes. Il atout prévu, tout arrangé pour elles; toutes obéissent irrévocablement à la force qu’il a imprimée pour jamais dans la nature.
« Pourquoi Dieu ferait-il un miracle? Pour venir à bout d’un certain dessein sur quelques êtres vivants! Il dirait donc: Je n’ai pu parvenir par la fabrique de l’univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles, à remplir un certain dessein; je vais changer mes éternelles idées, mes lois immuables,pour tâcher d’exécuter ce que je n’ai pu faire par elles.» Ce serait un aveu de sa faiblesse, et non de sa puissance; ce serait,ce semble, dans lui la plus inconcevable contradiction. Ainsi donc, oser supposer à Dieu des miracles, c’est réellement l’insulter (si des hommes peuvent insulter Dieu). C’est lui dire: Vous êtes un être faible et inconséquent. Il est donc absurde de croire des miracles; c’est déshonorer en quelque sorte la Divinité.
On presse ces philosophes; on leur dit: « Vous avez beau exalter l’immutabilité de l’Être suprême, l’éternitéde ses lois, la régularité de ses mondes infinis; notre petit tas de boue a été couvert de miracles; les histoires sont aussi remplies de prodiges que d’événements naturels. Les filles du grand prêtre Anius changeaient tout ce qu’elles voulaient en blé, en vin, ou en huile; Athalide, fille de Mercure, ressuscita plusieurs fois; Esculape ressuscita Hippolyte; Hercule arracha Alcesteà la mort; Hérès revint au monde après avoir passé quinze jours dans les enfers; Romulus et Rémus naquirent d’un dieu et d’une vestale; le palladium tomba du ciel dans la ville de Troie; la chevelure de Bérénice devint un assemblage d’étoiles;la cabane de Baucis et de Philémon fut changée en un superbe temple; la tête d’Orphée rendait des oracles aprèssa mort: les murailles de Thèbes se construisirent d’elles-mêmes au son de la flûte, en présence des Grecs; les guérisons faites dans le temple d’Esculape étaient innombrables, et nous avons encore des monuments chargés du nom des témoins oculaires des miracles d’Esculape.
Nommez-moi un peuple chez lequel il ne se soit pas opérédes prodiges incroyables, surtout dans des temps où l’on savait à peine lire et écrire.
Les philosophes ne répondent à ces objections qu’en riant et en levant les épaules; mais les philosophes chrétiens disent: « Nous croyons aux miracles opérés dans notre sainte religion; nous les croyons par la foi et non par la raison que nous nous gardons bien d’écouter; car lorsque la foi parle, on sait assez que la raison ne doit pas dire un seul mot: nous avons une croyance ferme et entière dans les miracles de Jésus-Christ et des apôtres, mais permettez-nous de douter un peu de plusieurs autres; souffrez, par exemple, que nous suspendions notre jugement sur ce que rapporte un homme simple auquel on a donné le nom de grand. Il assure qu’un petit moine était si fort accoutumé de faire des miracles, quele prieur lui défendit enfin d’exercer son talent. Le petit moine obéit; mais ayant vu un pauvre couvreur qui tombait du haut d’un toit, il balança entre le désir de lui sauver la vie et la sainte obédience. Il ordonna seulement au couvreur de rester en l’air jusqu’à nouvel ordre, et courut vite conter à son prieur l’état des choses. Le prieur lui donna l’absolution du péché qu’il avait commis en commençant un miracle sans permission, et lui permit de l’achever, pourvu qu’il s’en tînt là, et qu’il n’y revînt plus. On accorde aux philosophes qu’il faut un peu se défier de cette histoire.
Mais comment oseriez-vous nier, leur dit-on, que saint Gervais et saint Protais aient apparu en songe à saint Ambroise, qu’ils lui aient enseigné l’endroit où étaient leurs reliques? Que saint Ambroise les ait déterrées, et qu’elles aient guériun aveugle? » Saint Augustin était alors à Milan; c’est lui qui rapporte ce miracle, immenso populo teste, dit-il dans sa Cité de Dieu, livre XXII. Voilà un miracle des mieux constatés. Les philosophes disent qu’ils n’en croient rien, que Gervais et Protaisn’apparaissent à personne, qu’il importe fort peu au genre humain qu’on sache où sont les restes de leurs carcasses; qu’ils n’ont pas plus de foi à cet aveugle qu’à celui de Vespasien; que c’est un miracle inutile, que Dieu ne fait rien d’inutile; et ils se tiennent fermes dans leurs principes. Mon respect pour saint Gervais et saint Protaisne me permet pas d’être de l’avis de ces philosophes; je rends compte seulement de leur incrédulité. Ils font grand cas du passage de Lucien qui se trouve dans la mort de Peregrinus: « Quand un joueur de gobelets adroit se fait chrétien, il est sûr de faire fortune.» Mais comme Lucien est un auteur profane, il ne doit avoir aucune autorité parmi nous.
Ces philosophes ne peuvent se résoudre à croire les miracles opérés dans le IIe siècle. Des témoins oculaires ont beau écrire que l’évêque de Smyrne, saint Polycarpe, ayant été condamné à être brûlé, et étant jeté dans les flammes, ils entendirent une voix du ciel qui criait: « Courage, Polycarpe, sois fort, montre-toi homme; » qu’alors les flammes du bûcher s’écartèrent de son corps, et formèrent un pavillon de feu au-dessus de sa tête, et que du milieu du bûcher il sortit une colombe; enfin on fut obligé de trancher la tête de Polycarpe. « A quoi bon ce miracle? disent les incrédules; pourquoi les flammes ont-elles perdu leur nature, et pourquoi la hache de l’exécuteur n’a-t-elle pas perdu la sienne? D’où vient que tant de martyrs sont sortis sains et saufs de l’huile bouillante, et n’ont pu résister au tranchant du glaive?» On répond que c’est la volonté de Dieu. Mais les philosophes voudraient avoir vu tout cela de leurs yeux avant de le croire.
Ceux qui fortifient leurs raisonnements par la science vous diront que les Pères de l’Église ont avoué souvent eux-mêmes qu’il ne se faisait plus de miracles de leur temps. Saint Chrysostome dit expressément: « Les dons extraordinaires de l’Esprit étaient donnés même aux indignes, parce qu’alors l’Église avait besoin de miracles; mais aujourd’hui ils ne sont pas même donnés aux dignes, parce que l’Église n’en a plus besoin. » Ensuite il avoue qu’il n’y a plus personne qui ressuscite les morts, ni même qui guérisse les malades. Saint Augustin lui-même, malgré le miracle de Gervais et de Protais, dit, dans sa Cité de Dieu: « Pourquoi ces miracles qui se faisaient autrefois ne se font-ils plus aujourd’hui? » et il en donne la même raison. Cur, inquiunt, nunc illa miraculaquae praedicatis facta esse non fiunt? Possem quidem dicere necessariaprius fuisse quam crederet mundus, ad hoc ut crederet mundus. On objecte aux philosophes que saint Augustin, malgré cet aveu parle pourtant d’un vieux savetier d’Hippone qui, ayant perdu son habit, alla prier à la chapelle des vingt martyrs; qu’en retournant il trouva un poisson dans le corps duquel il y avait un anneau d’or, et que le cuisinier qui fit cuire le poisson dit au savetier: « Voilàce que les vingt martyrs vous donnent. » A cela les philosophes répondent qu’il n’y a rien dans cette histoire qui contredise les lois de la nature, que la physique n’est point du tout blessée qu’un poisson ait avalé un anneau d’or, et qu’un cuisinier ait donné cet anneau à un savetier; qu’il n’y a là aucun miracle. Si on fait souvenir ces philosophes que, selon saint Jérôme,dans sa Vie de l’ermite Paul, cet ermite eut plusieurs conversations avec des satyres et avec des faunes; qu’un corbeau lui apporta tous les jours pendant trente ans la moitié d’un pain pour son dîner, et un pain tout entier le jour que saint Antoine vint le voir, ils pourront répondre encore que tout cela n’est pas absolument contre la physique, que des satyres et des faunes peuvent avoir existé, et qu’en tout cas, si ce conte est une puérilité, cela n’a rien de commun avec les vrais miracles du Sauveur et de ses apôtres. Plusieurs bons chrétiens ont combattu l’histoire de saint Siméon Stylite, écrite par Théodoret; beaucoup de miracles qui passent pour authentiques dans l’Église grecque ont été révoqués en doute par plusieurs Latins, de même que des mirados latins ont été suspects à l’Église grecque; les protestants sont venus ensuite, qui ont fort maltraité les miracles de l’une et l’autre Église. Un savant jésuite, qui a prêché longtemps dans les Indes, se plaint de ce que ni ses confrères ni lui n’ont jamais pu faire de miracle. Xavier se lamente, dans plusieurs de ses lettres, de n’avoir point le don des langues; il dit qu’il n’est chez les Japonais que comme une statue muette cependant les jésuites ont écrit qu’il avait ressuscité huit morts; c’est beaucoup: mais il faut aussi considérer qu’il les ressuscitait à sixmille lieues d’ici. Il s’est trouvé depuis des gens qui ont prétendu que l’abolissement des jésuites en France est un beaucoup plus grand miracle que ceux de Xavier et d’Ignace. Quoi qu’il en soit, tous les chrétiens conviennent que les miracles de Jésus-Christ et des apôtres sont d’une vérité incontestable; mais qu’on peut douter à toute force de quelques miracles faits dans nos derniers temps, et qui n’ont pas eu une authenticité certaine. On souhaiterait, par exemple, pour qu’un miracle fût bien constaté, qu’il fût fait en présence de l’Académie des sciences de Paris, ou de la Société royale de Londres, et de la Faculté de médecine assistées d’un détachement du régiment des gardes, pour contenir la foule du peuple, qui pourrait, par son indiscrétion, empêcher l’opération du miracle. On demandait un jour à un philosophe ce qu’il dirait s’il voyait le soleil s’arrêter, c’est-à-dire si le mouvement de la terre autour de cet astre cessait, si tous les morts ressuscitaient, et si toutes les montagnes allaient se jeter de compagnie dans la mer, le tout pour prouver quelque vérité importante, comme, par exemple, lagrâce versatile. « Ce que je dirais? répondit le philosophe,je me ferais manichéen; je dirais qu’il y a un principe qui défaitce que l’autre a fait. »

Fanatisme (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Fanatisme aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique.
Barthélemy Diaz retiré à Nuremberg qui était fermement convaincu que le pape est l’antechrist de l’Apocalypse et qu’il a le signe de la bête, n’était qu’un enthousiaste; Barthélemy Diaz qui partit de Rome pour aller assassiner saintement son frère, et qi le tua en effet por l’amour de Dieu, était un des plus abdominables fanatiques que la superstition ait pû jamais former.
Polyeucte, qui va au temple, dans un jour de solennité, renverser et casser les statues et les ornements, est un fanatique moins horrible que Diaz, mais non moins sot. Les assassins du duc François de Guise, de Guillaume prince d’Orange, du roi Henri III, du roi Henri IV, et de tant d’autres, étaient des énergumènes malades de la même rage que Diaz.
Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélemy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. Guyon, Patouillet, Chaudon, Nonotte, l’ex-jésuite Paulian, ne sont que des fanatiques du coin de la rue, des misérables à qui on ne prend pas garde: mais un jour de Saint-Barthélemy ils feraient de grandes choses.
Il y a des fanatiques de sang-froid: ce sont les juges qui condamnent à la mort ceux qui n’ont d’autre crime que de ne pas penser comme eux; et ces juges-là sont d’autant plus coupables, d’autant plus dignes de l’exécration du genre humain, que, n’étant pas dans un accès de fureur comme les Clément, les Chastel, les Ravaillac, les Damiens, il semble qu’ils pourraient écouter la raison.
Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés parmi eux: leurs yeux s’enflammaient, tout leur corps tremblait, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits.
Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les moeurs des hommes, et qui prévient les accès du mal; car dés que ce mal fait des progrès, il faut fuir et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent, pas contre la peste des âmes; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod qui assassine le roi Églon; de Judith qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui; de Samuel qui hache en morceaux le roi Agag; du prêtre Joad qui assassine sa reine à la porte aux chevaux, etc., etc., etc. Ils ne voient pas que ces exemples, qui sont respectables dans l’antiquité, sont abominables dans le temps présent: ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne.
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage: c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant?
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. Il n’y a eu qu’une seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède.
Car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c’est à la folie des hommes qu’il faut s’en prendre.

Ainsi du plumage qu’il eut
Icare pervertit l’usage:
Il le reçut pour son salut,
Il s’en servit pour son dommage.
(Bertaud, évêque de Séez.)