Superstition – Aberglaube (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Superstition – Aberglaube aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.



Presque tout ce qui va au delà de l’adoration d’un Être suprême, et de la soumission du coeur à ses ordres éternels, est superstition. C’en est une très dangereuse que le pardon des crimes attaché à certaines cérémonies.
Et nigras mactant pécudes, et Manibu’ divis,
Inferias mittunt.
O faciles nimium, qui tristia crimina caedis,
Flumineâ tolli posse putatis aquâ!
Vous pensez que Dieu oubliera votre homicide, si vous vous baignez dans un fleuve, si vous immolez une brebis noire, et si on prononce sur vous des paroles. Un second homicide vous sera donc pardonné au même prix, et ainsi un troisième et cent meurtres ne vous coûteront que cent brebis noires et cent ablutions! Faites mieux misérables humains, point de meurtres et point de brebis noires.
Quelle infâme idée d’imaginer qu’un prêtre d’Isis et de Cybèle, en jouant des cymbales et des castagnettes, vous réconciliera avec la Divinité! Eh! qu’est-il donc ce prêtre de Cybèle, cet eunuque errant qui vit de vos faiblesses, pour s’établir médiateur entre le ciel et vous? Quelles patentes a-t-il reçues de Dieu? Il reçoit de l’argent de vous pour marmotter des paroles, et vous pensez que l’Être des êtres ratifie les paroles de ce charlatan!
Il y a des superstitions innocentes; vous dansez les jours de fêtes en l’honneur de Diane ou de Pomone, ou de quelqu’un de ces dieux secondaires dont votre calendrier est rempli: à la bonne heure. La danse est très agréable, elle est utile au corps; elle réjouit l’âme, elle ne fait de mal à personne; mais n’allez pas croire que Pomone et Vertumne vous sachent beaucoup de gré d’avoir sauté en leur honneur, et qu’ils vous punissent d’y avoir manqué. Il n’y a d’autre Pomone ni d’autre Vertumne que la bêche et le hoyau du jardinier. Ne soyez pas assez imbéciles pour croire que votre jardin sera grêlé, si vous avez manqué de danser la pyrrhique ou la cordace.
Il y a peut-être une superstition pardonnable et même encourageante à la vertu; c’est celle de placer parmi les dieux les grands hommes qui ont été les bienfaiteurs du genre humain. Il serait mieux sans doute de s’en tenir à les regarder simplement comme des hommes vénérables, et surtout de tâcher de les imiter. Vénérez sans culte un Solon, un Thalès, un Pythagore; mais n’adorez pas un Hercule pour avoir nettoyé les écuries d’Augias, et pour avoir couché avec cinquante filles dans une nuit.
Gardez-vous surtout d’établir un culte pour des gredins qui n’ont eu d’autre mérite que l’ignorance, l’enthousiasme, et la crasse; qui se sont fait un devoir et une gloire de l’oisiveté et de la gueuserie: ceux qui ont été au moins inutiles pendant leur vie méritent-ils l’apothéose après leur mort?
Remarquez que les temps les plus superstitieux ont toujours été ceux des plus horribles crimes.

Méchant – Böse (Originalversion)

Wir geben hier den Artikel Méchant – Böse aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


On nous crie que la nature humaine est essentiellement perverse, que l’homme est né enfant du diable et méchant. Rien n’est plus malavisé; car, mon ami, toi qui me prêches que tout le monde est né pervers, tu m’avertis donc que tu es né tel, qu’il faut que je me défie de toi comme d’un renard ou d’un crocodile. Oh point! me dis-tu, je suis régénéré, je ne suis ni hérétique ni infidèle, on peut se fier à moi. Mais le reste du genre humain qui est ou hérétique, ou ce que tu appelles infidèle, ne sera donc qu’un assemblage de monstres; et toutes les fois que tu parleras à un luthérien, ou à un Turc, tu dois être sûr qu’ils te voleront et qu’ils t’assassineront, car ils sont enfants du diable; ils sont nés méchants; l’un n’est point régénéré, et l’autre est dégénéré. Il serait bien plus raisonnable, bien plus beau de dire aux hommes: « Vous êtes tous nés bons; voyez combien il serait affreux de corrompre la pureté de votre être. » Il eût fallu en user avec le genre humain comme on en use avec tous les hommes en particulier. Un chanoine mène-t-il une vie scandaleuse, on lui dit: Est-il possible que vous déshonoriez la dignité de chanoine? On fait souvenir un homme de robe qu’il a l’honneur d’être conseiller du roi, et qu’il doit l’exemple. On dit à un soldat pour l’encourager: Songe que tu es du régiment de Champagne. On devrait dire à chaque individu: Souviens-toi de ta dignité d’homme.
Et en effet, malgré qu’on en ait, on en revient toujours là; car que vent dire ce mot si fréquemment employé chez toutes les nations: Rentrez en vous-même? si vous étiez né enfant du diable, si votre origine était criminelle, si votre sang était formé d’une liqueur infernale, ce mot: Rentrez en vous-même, signifierait: Consultez, suivez votre nature diabolique, soyez imposteur, voleur, assassin, c’est la loi de votre père.
L’homme n’est point né méchant; il le devient, comme il devient malade. Des médecins se présentent et lui disent: Vous êtes né malade; il est bien sûr que ces médecins, quelque chose qu’ils disent et qu’ils fassent, ne le guériront pas si sa maladie est inhérente à sa nature: et ces raisonneurs sont très malades eux-mêmes.
Assemblez tous les enfants de l’univers, vous ne verrez en eux que l’innocence, la douceur et la crainte; s’ils étaient nés méchants, malfaisants, cruels, ils en montreraient quelque signe, comme les petits serpents cherchent à mordre, et les petits tigres à déchirer. Mais la nature n’ayant pas donné à l’homme plus d’armes offensives qu’aux pigeons et aux lapins, elle ne leur a pu donner un instinct qui les perte à détruire.
L’homme n’est donc pas né mauvais; pourquoi plusieurs sont-ils donc infectés de cette peste de la méchanceté? c’est que ceux qui sont à leur tête étant pris de la maladie, la communiquent au reste des hommes, comme une femme attaquée du mal que Christophe Colomb rapporta d’Amérique, répand ce venin d’un bout de l’Europe à l’autre. Le premier ambitieux a corrompu la terre.
Vous m’allez dire que ce premier monstre a déployé le germe d’orgueil, de rapine, de fraude, de cruauté, qui est dans tous les hommes. J’avoue qu’en général la plupart de nos frères peuvent acquérir ces qualités; mais tout le monde a-t-il la fièvre putride, la pierre et la gravelle, parce que tout le monde y est exposé?
Il y a des nations entières qui ne sont point méchantes: les Philadelphiens, les Banians, n’ont jamais tué personne. Les Chinois, les peuples du Tunquin, de Lao, de Siam, du Japon même, depuis plus de cent ans, ne connaissent point la guerre. A peine voit-on en dix ans un de ces grands crimes qui étonnent la nature humaine, dans les villes de Rome, de Venise, de Paris, de Londres, d’Amsterdam, villes où pourtant la cupidité, mère de tous les crimes, est extrême.
Si les hommes étaient essentiellement méchants, s’ils naissaient tous soumis à un être aussi malfaisant que malheureux, qui, pour se venger de son supplice leur inspirerait toutes ses fureurs, on verrait tous les matins les maris assassinés par leurs femmes, et les pères par leurs enfants, comme on voit à l’aube du jour des poules étranglées par une fouine qui est venue sucer leur sang.
S’il y a un milliard d’hommes sur la terre, c’est beaucoup; cela donne environ cinq cents millions de femmes qui cousent, qui filent, qui nourrissent leurs petits, qui tiennent la maison ou la cabane propre, et qui médisent un peu de leurs voisines. Je ne vois pas quel grand mal ces pauvres innocentes font sur la terre. Sur ce nombre d’habitants du globe, il y a deux cents millions d’enfants au moins, qui certainement ne tuent ni ne pillent, et environ autant de vieillards ou de malades qui n’en ont pas le pouvoir. Restera tout au plus cent millions de jeunes gens robustes et capables du crime. De ces cent millions il y en a quatre-vingt-dix continuellement occupés à forcer la terre, par un travail prodigieux, à leur fournir la nourriture et le vêtement; ceux-là n’ont guère le temps de mal faire.
Dans les dix millions restants seront compris les gens oisifs et de bonne compagnie, qui veulent jouir doucement; les hommes à talents occupés de leurs professions; les magistrats, les prêtres, visiblement intéressés à mener une vie pure, au moins en apparence. Il ne restera donc de vrais méchants que quelques politiques, soit séculiers, soit réguliers, qui veulent toujours troubler le monde, et quelques milliers de vagabonds qui louent leurs services à ces politiques. Or il n’y a jamais à la fois un million de ces bêtes féroces employées; et dans ce nombre je compte les voleurs de grands chemins. Vous avez donc tout au plus sur la terre, dans les temps les plus orageux, un homme sur mille qu’on peut appeler méchant, encore ne l’est-il pas toujours.
Il y a donc infiniment moins de mal sur la terre qu’on ne dit et qu’on ne croit. Il y en a encore trop sans doute; on voit des malheurs et des crimes horribles: mais le plaisir de se plaindre et d’exagérer est si grand, qu’à la moindre égratignure vous criez que la terre regorge de sang. Avez-vous été trompé, tous les hommes sont des parjures. Un esprit mélancolique qui a souffert une injustice voit l’univers couvert de damnés, comme un jeune voluptueux soupant avec sa dame, au sortir de l’opéra, n’imagine pas qu’il y ait des infortunés.

Fables – Fabeln (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Fables – Fabeln aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Les plus anciennes fables ne sont-elles pas visiblement allégoriques ? La première que nous connaissions dans notre manière de supputer les temps, n’est-ce pas celle qui est racontée dans le neuvième chapitre du livre des Juges ? Il fallut choisir un roi parmi les arbres ; l’olivier ne voulut point abandonner le soin de son huile, ni le figuier celui de ses figues, ni la vigne celui de son vin, ni les autres arbres celui de leur fruit ; le chardon, qui n’était bon à rien, se fit roi, parce qu’il avait des épines et qu’il pouvait faire du mal.
L’ancienne fable de Vénus, telle qu’elle est rapportée dans Hésiode, n’est-elle pas une allégorie de la nature entière ? Les parties de la génération sont tombées de l’Éther sur le rivage de la mer : Vénus naît de cette écume précieuse ; son premier nom est celui d’Amante de l’organe de la génération, Philometès : y a-t-il une image plus sensible ? Cette Vénus est la déesse de la beauté ; la beauté cesse d’être aimable si elle marche sans les grâces ; la beauté fait naître l’amour ; l’amour a des traits qui percent les cœurs ; il porte un bandeau qui cache les défauts de ce qu’on aime.
La sagesse est conçue dans le cerveau du maître des dieux sous le nom de Minerve ; l’âme de l’homme est un feu divin que Minerve montre à Prométhée, qui se sert de ce feu divin pour animer l’homme.
Il est impossible de ne pas reconnaître dans ces fables une peinture vivante de la nature entière. La plupart des autres fables sont, ou la corruption des histoires anciennes, ou le caprice de l’imagination. Il en est des anciennes fables comme de nos contes modernes : il y en a de moraux, qui sont charmants ; il en est qui sont insipides

Vertu – Tugend (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Vertu – Tugend aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Qu’est-ce que vertu? Bienfaisance envers le prochain. Puis-je appeler vertu autre chose que ce qui me fait du bien? Je suis indigent, tu es libéral; je suis en danger, tu me secours; on me trompe, tu me dis la vérité; on me néglige, tu me consoles; je suis ignorant, tu m’instruis: je t’appellerai sans difficulté vertueux. Mais que deviendront les vertus cardinales et théologales? Quelques-unes resteront dans les écoles.
Que m’importe que tu sois tempérant? c’est un précepte de santé que tu observes; tu t’en porteras mieux, et je t’en félicite. Tu as la foi et l’espérance, et je t’en félicite encore davantage; elles te procureront la vie éternelle. Tes vertus théologales sont des dons célestes; tes cardinales sont d’excellentes qualités qui servent à te conduire mais elles ne sont point vertus par rapport à ton prochain. Le prudent se fait du bien, le vertueux en fait aux hommes. Saint Paul a eu raison de te dire que la charité l’emporte sur la foi, sur l’espérance.
Mais quoi, n’admettra-t-on de vertus que celles qui sont utiles au prochain? Eh! comment puis-je en admettre d’autres? Nous vivons en société; il n’y a donc de véritablement bon pour nous que ce qui fait le bien de la société. Un solitaire sera sobre, pieux, Il sera revêtu d’un cilice; eh bien, il sera saint: mais je ne l’appellerai vertueux que quand il aura fait quelque acte de vertu dont les autres hommes auront profité. Tant qu’il est seul, il n’est ni bienfaisant ni malfaisant; il n’est rien pour nous. Si saint Bruno a mis la paix dans les familles, s’il a secouru l’indigence, il a été vertueux; s’il a jeûné, prié dans la solitude, il a été un saint. La vertu entre les hommes est un commerce de bienfaits; celui qui n’a nulle part à ce commerce ne doit point être compté. Si ce saint était dans le monde, il ferait du bien sans doute; mais tant qu’il n’y sera pas, le monde aura raison de ne lui pas donner le nom de vertueux; il sera bon pour lui, et non pour nous.
Mais, me dites-vous, si un solitaire est gourmand, ivrogne, livré à une débauche secrète avec lui-même, il est vicieux; il est donc vertueux, s’il a les qualités contraires. C’est de quoi je ne puis convenir: c’est un très vilain homme s’il a les défauts dont vous parlez; mais il n’est point vicieux, méchant, punissable par rapport à la société, à qui ses infamies ne font aucun mal. Il est à présumer que, s’il rentre dans la société, il y fera du mal, qu’il y sera très vicieux; et il est même bien plus probable que ce sera un méchant homme, qu’il n’est sûr que l’autre solitaire tempérant et chaste sera un homme de bien; car dans la société les défauts augmentent, et les bonnes qualités diminuent.
On fait une objection bien plus forte; Néron, le pape Alexandre VI, et d’antres monstres de cette espèce, ont répandu des bienfaits; je réponds hardiment qu’ils furent vertueux ce jour-là.
Quelques théologiens disent que le divin empereur Antonin n’était pas vertueux; que c’était un stoïcien entêté, qui, non content de commander aux hommes, voulait encore être estimé d’eux; qu’il rapportait à lui-même le bien qu’il faisait au genre humain; qu’il fut toute sa vie juste, laborieux, bienfaisant par vanité, et qu’il ne fit que tromper les hommes par ses vertus; je m’écrie alors: « Mon Dieu, donnez-nous souvent de pareils fripons! »

Tirannie – Tyrannei (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Tirannie – Tyrannei aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


On appelle tyran le souverain qui ne connaît de lois que son caprice, qui prend le bien de ses sujets, et qui ensuite les enrôle pour aller prendre celui de ses voisins. Il n’y a point de ces tyrans-là en Europe.
On distingue la tyrannie d’un seul et celle de plusieurs. Cette tyrannie de plusieurs serait celle d’un corps qui envahirait les droits des autres corps, et qui exercerait le despotisme à la faveur des lois corrompues par lui. Il n’y a pas non plus de cette espèce de tyrans en Europe.
Sous quelle tyrannie aimeriez-vous mieux vivre? Sous aucune; mais s’il fallait choisir, je détesterais moins la tyrannie d’un seul que celle de plusieurs. Un despote a toujours quelques bous moments; une assemblée de despotes n’en a jamais. Si un tyran me fait une injustice, je peux le désarmer par sa maîtresse, par son confesseur, ou par son page; mais une compagnie de graves tyrans est inaccessible à toutes les séductions. Quand elle n’est pas injuste, elle est au moins dure, et jamais elle ne répand de grâces.
Si je n’ai qu’un despote, j’en suis quitte pour me ranger contre un mur lorsque je le vois passer, ou pour me prosterner, ou pour frapper la terre de mon front, selon la coutume du pays; mais s’il y a une compagnie de cent despotes, je suis exposé à répéter cette cérémonie cent fois par jour, ce qui est très ennuyeux à la longue quand on n’a pas les jarrets souples. Si j ai une métairie dans le voisinage de l’un de nos seigneurs, je suis écrasé; si je plaide contre un parent des parents d’un de nos seigneurs, je suis ruiné. Comment faire? J’ai peur que dans ce monde on ne soit réduit à être enclume ou marteau; heureux qui échappe à cette alternative!

Patrie – Vaterland (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Patrie – Vaterland aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Une patrie est un composé de plusieurs familles; et comme on soutient communément sa famille par amour-propre, lorsqu’on n’a pas un intérêt contraire, on soutient par le même amour-propre sa ville ou son village, qu’on appelle sa patrie.
Plus cette patrie devient grande, moins on l’aime; car l’amour partagé s’affaiblit. Il est impossible d’aimer tendrement une famille trop nombreuse qu’on connaît à peine.
Celui qui brûle de l’ambition d’être édile, tribun, préteur, consul, dictateur, crie qu’il aime sa patrie, et il n’aime que lui-même. Chacun veut être sûr de pouvoir coucher chez soi, sans qu’un autre homme s’arroge le pouvoir de l’envoyer coucher ailleurs; chacun veut être sûr de sa fortune et de sa vie. Tous formant ainsi les mêmes souhaits, il se trouve que l’intérêt particulier devient l’intérêt général: on fait des voeux pour la république, quand on n’en fait que pour soi-même.
Il est impossible qu’il y ait sur la terre un État qui ne se soit gouverné d’abord en république; c’est la marche naturelle de la nature humaine. Quelques familles s’assemblent d’abord contre les ours et contre les loups; celle qui a des grains en fournit en échange à celle qui n’a que du bois.
Quand nous avons découvert l’Amérique, nous avons trouvé toutes les peuplades divisées en républiques; il n’y avait que deux royaumes dans toute cette partie du monde. De mille nations nous n’en trouvâmes que deux subjuguées.
Il en était ainsi de l’ancien monde; tout était république en Europe, avant les roitelets d’Étrurie et de Rome. On voit encore aujourd’hui des républiques en Afrique. Tripoli, Tunis, Alger, vers notre septentrion, sont des républiques de brigands. Les Hottentots, vers le midi, vivent encore comme on dit qu’on vivait dans les premiers âges du monde, libres, égaux entre eux, sans maîtres, sans sujets, sans argent, et presque sans besoins. La chair de leurs moutons les nourrit, leur peau les habille, des huttes de bois et de terre sont leurs retraites: ils sont les plus puants de tous les hommes, mais ils ne le sentent pas; ils vivent et ils meurent plus doucement que nous.
Il reste dans notre Europe huit républiques sans monarques, Venise, la Hollande, la Suisse, Gênes, Lucques, Raguse, Genève, et Saint-Marin(2). On peut regarder la Pologne, la Suède, l’Angleterre, comme des républiques sous un roi; mais la Pologne est la seule qui en prenne le nom.
Or, maintenant, lequel vaut mieux que votre patrie soit un État monarchique, ou un État républicain? Il y a quatre mille ans qu’on agite cette question. Demandez la solution aux riches, ils aiment tous mieux l’aristocratie; interrogez le peuple, il veut la démocratie: il n’y a que les rois qui préfèrent la royauté(3). Comment donc est-il possible que presque toute la terre soit gouvernée par des monarques? demandez-le aux rats qui proposèrent de pendre une sonnette au cou du chat. Mais, en vérité, la véritable raison est, comme on l’a dit, que les hommes sont très rarement dignes de se gouverner eux-mêmes.
Il est triste que souvent, pour être bon patriote, on soit l’ennemi du reste des hommes. L’ancien Caton, ce bon citoyen, disait toujours en opinant au sénat: « Tel est mon avis, et qu’on ruine Carthage. » Être bon patriote, c’est souhaiter que sa ville s’enrichisse par le commerce, et soit puissante par les armes. Il est clair qu’un pays ne peut gagner sans qu’un autre perde, et qu’il ne peut vaincre sans faire des malheureux.
Telle est donc la condition humaine que souhaiter la grandeur de son pays, c’est souhaiter du mal à ses voisins. Celui qui voudrait que sa patrie ne fût jamais ni plus grande, ni plus petite, ni plus riche, ni plus pauvre, serait le citoyen de l’univers

Métamorphoses, Metempsicose – Verwandlung, Seelenwanderung (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Métamorphose, Metempsicose – Verwandlung, Seelenwanderung aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


N’est-il pas bien naturel que toutes les métamorphoses dont la terre est couverte aient fait imaginer dans l’Orient, où on a imaginé tout, que nos âmes passaient d’un corps à un autre? un point presque imperceptible devient un ver, ce ver devient papillon; un gland se transforme en chêne, un oeuf en oiseau; l’eau devient nuage et tonnerre; le bois se change en feu et en cendre; tout paraît enfin métamorphosé dans la nature. On attribua bientôt aux âmes, qu’on regardait comme des figures légères, ce qu’on voyait sensiblement dans des corps plus grossiers. L’idée de la métempsycose est peut-être le plus ancien dogme de l’univers connu, et il règne encore dans une grande partie de l’Inde et de la Chine.
Il est encore très naturel que toutes les métamorphoses dont nous sommes les témoins aient produit ces anciennes fables qu’Ovide a recueillies dans son admirable ouvrage. Les Juifs mêmes ont eu aussi leurs métamorphoses. Si Niobé fut changée en marbre, Édith, femme de Loth, fut changée en statue de sel. Si Eurydice resta dans les enfers pour avoir regardé derrière elle, c’est aussi pour la même indiscrétion que cette femme de Loth fut privée de la nature humaine. Le bourg qu’habitaient Baucis et Philémon en Phrygie est changé en un lac; la même chose arrive à Sodome. Les filles d’Anius changeaient l’eau en huile; nous avons dans l’Écriture une métamorphose à peu près semblable, mais plus vraie et plus sacrée. Cadmus fut changé en serpent; la verge d’Aaron devint serpent aussi.
Les dieux se changeaient très souvent en hommes; les Juifs n’ont jamais vu les anges que sous la forme humaine: les anges mangèrent chez Abraham. Paul, dans son Épître aux Corinthiens, dit que l’ange de Satan lui a donné des soufflets: Angelos Satana me colaphisei.

Fin, causes finales – Zweck, Zweckursachen (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Fin, causes finales – Zweck, Zweckursachen aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Il paraît qu’il faut être forcené pour nier que les estomacs soient faits pour digérer, les yeux pour voir, les oreilles pour entendre.
D’un autre côté, il faut avoir un étrange amour des causes finales pour assurer que la pierre a été formée pour bâtir des maisons, et que les vers à soie sont nés à la Chine afin que nous ayons du satin en Europe
Mais, dit-on, si Dieu a fait visiblement une chose à dessein, il a donc fait toutes choses à dessein. Il est ridicule d’admettre la Providence dans un cas, et de la nier dans les autres. Tout ce qui est fait a été prévu, a été arrangé. Nul arrangement sans objet, nul effet sans cause: donc tout est également le résultat, le produit d’une cause finale; donc il est aussi vrai de dire que les nez ont été faits pour porter des lunettes, et les doigts pour être ornés de bagues, qu’il est vrai de dire que les oreilles ont été formées pour entendre les sons, et les yeux pour recevoir la lumière(38).
Il ne résulte de cette objection rien autre, ce me semble, sinon que tout est l’effet prochain ou éloigné d’une cause finale générale; que tout est la suite des lois éternelles.
Les pierres, en tout lieu et en tout temps, ne composent pas des bâtiments; tous les nez ne portent pas des lunettes; tous les doigts n’ont pas une bague; toutes les jambes ne sont pas couvertes de bas de soie. Le ver à soie n’est donc pas fait pour couvrir mes jambes, précisément comme votre bouche est faite pour manger, et votre derrière pour aller à la garde-robe. Il y a donc des effets immédiats produits par les causes finales, et des effets en très grand nombre qui sont des produits éloignés de ces causes.
Tout ce qui appartient à la nature est uniforme, immuable, est l’ouvrage immédiat du Maître: c’est lui qui a créé les lois par lesquelles la lune entre pour les trois quarts dans la cause du flux et du reflux de l’Océan, et le soleil pour son quart; c’est lui qui a donné un mouvement de rotation au soleil, par lequel cet astre envoie en sept minutes et demie des rayons de lumière dans les yeux des hommes, des crocodiles, et des chats.
Mais si, après bien des siècles, nous nous sommes avisés d’inventer des ciseaux et des broches, de tondre avec les uns la laine des moutons et de les faire cuire avec les autres pour les manger, que peut-on en inférer autre chose sinon que Dieu nous a faits de façon qu’un jour nous deviendrions nécessairement industrieux et carnassiers?
Les moutons n’ont pas sans doute été faits absolument pour être cuits et mangés, puisque plusieurs nations s’abstiennent de cette horreur. Les hommes ne sont pas créés essentiellement pour se massacrer, puisque les brames et les respectables primitifs qu’on nomme quakers ne tuent personne; mais la pâte dont nous sommes pétris produit souvent des massacres, comme elle produit des calomnies, des vanités, des persécutions, et des impertinences. Ce n’est pas que la formation de l’homme soit précisément la cause finale de nos fureurs et de nos sottises: car une cause finale est universelle et invariable en tout temps et en tout lieu; mais les horreurs et les absurdités de l’espèce humaine n’en sont pas moins dans l’ordre éternel des choses. Quand nous battons notre blé, le fléau est la cause finale de la séparation du grain. Mais si ce fléau, en battant mon blé, écrase mille insectes, ce n’est point par ma volonté déterminée, ce n’est pas non plus par hasard: c’est que ces insectes se sont trouvés cette fois sous mon fléau, et qu’ils devaient s’y trouver.
C’est une suite de la nature des choses, qu’un homme soit ambitieux, que cet homme enrégimente quelquefois d’autres hommes, qu’il soit vainqueur ou qu’il soit battu mais jamais on ne pourra dire: L’homme a été créé de Dieu pour être tué à la guerre.
Les instruments que nous a donnés la nature ne peuvent être toujours des causes finales en mouvement. Les yeux donnés pour voir ne sont pas toujours ouverts; chaque sens a ses temps de repos. Il y a même des sens dont on ne fait jamais d’usage. Par exemple, une malheureuse imbécile, enfermée dans un cloître à quatorze ans, ferme pour jamais chez elle la porte dont devait sortir une génération nouvelle; mais la cause finale n’en subsiste pas moins; elle agira dès qu’elle sera libre.

Fausseté des vertus humaines – Die Falschheit der menschlichen Tugenden (Originalversion)

Wir geben hier den Artikel Fausseté des vertus humaines – Von der Falschheit der menschlichen Tugenden aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Quand le duc de La Rochefoucauld eut écrit ses pensées sur l’amour-propre, et qu’il eut mis à découvert ce ressort de l’homme, un M. Esprit, de l’Oratoire, écrivit un livre captieux, intitulé, De la fausseté des vertus humaines(1). Cet Esprit dit qu’il n’y a point de vertu; mais par grâce il termine chaque chapitre en renvoyant à la charité chrétienne. Aussi, selon le sieur Esprit, ni Caton, ni Aristide, ni Marc-Aurèle, ni Épictète, n’étaient des gens de bien: mais on n’en peut trouver que chez les chrétiens. Parmi les chrétiens, il n’y a de vertu que chez les catholiques; parmi les catholiques, il fallait encore en excepter les jésuites, ennemis des oratoriens: partant, la vertu ne se trouvait guère que chez les ennemis des jésuites.
Ce M. Esprit commence par dire que la prudence n’est pas une vertu; et sa raison est qu’elle est souvent trompée. C’est comme si on disait que César n’était pas un grand capitaine, parce qu’il fut battu à Dyrrachium.
Si M. Esprit avait été philosophe, il n’aurait pas examiné la prudence comme une vertu, mais comme un talent, comme une qualité utile, heureuse; car un scélérat peut être très prudent, et j’en ai connu de cette espèce. O la rage de prétendre que

Nul n’aura de vertu que nous et nos amis!

Qu’est-ce que la vertu, mon ami? c’est de faire du bien: fais-nous en, et cela suffit. Alors nous te ferons grâce du motif. Quoi! selon toi il n’y aura nulle différence entre le président de Thou et Ravaillac? entre Cicéron et ce Popilius auquel il avait sauvé la vie, et qui lui coupa la tête pour de l’argent? et tu déclareras Épictète et Porphyre des coquins, pour n’avoir pas suivi nos dogmes? Une telle insolence révolte. Je n’en dirai pas davantage, car je me mettrais en colère.

Enfer – Hölle (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Enfer – Hölle aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.



Dès que les hommes vécurent en société, Dès que les hommes vécurent en société, ils durent s’apercevoir que plusieurs coupables échappaient à la sévérité des lois: ils punissaient les crimes publics; il fallut établir un frein pour les crimes secrets; la religion seule pouvait être ce frein. Les Persans, les Chaldéens, les Égyptiens, les Grecs, imaginèrent des punitions après la vie; et de tous les peuples anciens que nous connaissons, les Juifs, comme nous l’avons déjà observé(8), furent les seuls qui n’admirent que des châtiments temporels. Il est ridicule de croire ou de feindre de croire, sur quelques passages très obscurs, que l’enfer était admis par les anciennes lois des Juifs, par leur Lévitique, par leur Décalogue, quand l’auteur de ces lois ne dit pas un seul mot qui puisse avoir le moindre rapport avec les châtiments de la vie future. On serait en droit de dire au rédacteur du Pentateuque: Vous êtes un homme inconséquent et sans probité, comme sans raison, très indigne du nom de législateur que vous vous arrogez! Quoi! vous connaissez un dogme aussi réprimant, aussi nécessaire au peuple que celui de l’enfer, et vous ne l’annoncez pas expressément? et tandis qu’il est admis chez toutes nations qui vous environnent, vous vous contentez de laisser deviner ce dogme par quelques commentateurs qui viendront quatre mille ans après vous, et qui donneront la torture à quelques-unes de vos paroles pour y trouver ce que vous n’avez pas dit? Ou vous êtes un ignorant, qui ne savez pas que cette créance était universelle en Égypte, en Chaldée, en Perse; ou vous êtes un homme très malavisé, si, étant instruit de ce dogme, vous n’en avez pas fait la base de votre religion.
Les auteurs des lois juives pourraient tout au plus répondre: Nous avouons que nous sommes excessivement ignorants; que nous avons appris à écrire fort tard; que notre peuple était une horde sauvage et barbare qui, de notre aveu, erra près d’un demi-siècle dans des déserts impraticables; qu’elle usurpa enfin un petit pays par les rapines les plus odieuses, et par les cruautés les plus détestables dont jamais l’histoire ait fait mention. Nous n’avions aucun commerce avec les nations policées: comment voulez-vous que nous pussions (nous, les plus terrestres des hommes) inventer un système tout spirituel?
Nous ne nous servions du mot qui répond à âme que pour signifier la vie; nous ne connûmes notre Dieu et ses ministres, ses anges, que comme des êtres corporels: la distinction de l’âme et du corps, l’idée d’une vie après la mort, ne peuvent être que le fruit d’une longue méditation et d’une philosophie très fine. Demandez aux Hottentots et aux Nègres, qui habitent un pays cent fois plus étendu que le nôtre, s’ils connaissent la vie à venir. Nous avons cru faire assez de persuader à notre peuple que Dieu punissait les malfaiteurs jusqu’à la quatrième génération, soit par la lèpre, soit par des morts subites, soit par la perte du peu de bien qu’on pouvait posséder.
On répliquerait à cette apologie: Vous avez inventé un système dont le ridicule saute aux yeux; car le malfaiteur qui se portait bien, et dont la famille prospérait, devait nécessairement se moquer de vous.
L’apologiste de la loi judaïque répondrait alors: Vous vous trompez: car pour un criminel qui raisonnait juste, il y en avait cent qui ne raisonnaient point du tout. Celui qui, ayant commis un crime, ne se sentait puni ni dans son corps, ni dans celui de son fils, craignait pour son petit-fils. De plus, s’il n’avait pas aujourd’hui quelque ulcère puant, auquel nous étions très sujets, il en éprouvait dans le cours de quelques années: il y a toujours des malheurs dans une famille, et nous faisions aisément accroire que ces malheurs étaient envoyés par une main divine, vengeresse des fautes secrèttes.
Il serait aisé de répliquer à cette réponse, et de dire: Votre excuse ne vaut rien, car il arrive tous les jours que de très honnêtes gens perdent la santé et leurs biens; et s’il n’y a point de famille à laquelle il ne soit arrivé des malheurs, si ces malheurs sont des châtiments de Dieu, toutes vos familles étaient donc des familles de fripons.
Le prêtre juif pourrait répliquer encore; il dirait qu’il y a des malheurs attachés à la nature humaine, et d’autres qui sont envoyés expressément de Dieu. Mais on ferait savoir à ce raisonneur combien il est ridicule de penser que la fièvre et la grêle sont tantôt une punition divine, tantôt un effet naturel.
Enfin, les pharisiens et les esséniens, chez les Juifs, admirent la créance d’un enfer à leur mode: ce dogme avait déjà passé des Grecs aux Romains, et fut adopté par les chrétiens.
Plusieurs Pères de l’Église ne crurent point les peines éternelles; il leur paraissait absurde de brûler pendant toute l’éternité un pauvre homme pour avoir volé une chèvre. Virgile a beau dire, dans son sixième chant de l’Énéide (vers 617 et 618):

Sedet aeternumque sedebit Infelix Theseus.

Il prétend en vain que Thésée est assis pour jamais sur une chaise, et que cette posture est son supplice. D’autres croyaient que Thésée est un héros qui n’est point assis en enfer, et qu’il est dans les champs Élysées.
Il n’y a pas longtemps qu’un théologien calviniste, nommé Petit-Pierre, prêcha et écrivit que les damnés auraient un jour leur grâce(9). Les autres ministres lui dirent qu’ils n’en voulaient point. La dispute s’échauffa; on prétend que le roi, leur souverain, leur manda que puisqu’ils voulaient être damnés sans retour, il le trouvait très bon, et qu’il y donnait les mains. Les damnés de l’église de Neufchâtel déposèrent le pauvre Petit-Pierre, qui avait pris l’enfer pour le purgatoire. On a écrit que l’un d’eux lui dit: « Mon ami, je ne crois pas plus à l’enfer éternel que vous; mais sachez qu’il est bon que votre servante, que votre tailleur, et surtout votre procureur, y croyent