Philosophisches Taschenwörterbuch:
Athée -Atheismus Inhaltsangabe

 




Wer als Atheist bezeichet oder denunziert wurde, hatte in vielen Gesellschaften – mit Ausnahme Roms – Verfolgungen zu erleiden.
Der Denunziation und Verurteilung des Sokrates in Athen entsprach im 17. Jahrhundert die besonders schändliche Verfolgung von Lucillio Vanini, der 1619 in Toulouse als Ketzer verbrannt wurde, obwohl er eher das Gegenteil von einem Atheisten war. Später waren Malebranche, Bayle, Descartes und Pascal Opfer solcher infamen Anklagen wegen Atheismus.
Bayle beantwortet die Frage, ob eine Gesellschaft aus Atheisten möglich wäre, positiv; Voltaire meint dagegen, dass solche Gesellschaften auseinanderfallen müssten, weil der Einzelne ohne Todesfurcht, die von den drohenden Strafen im Jenseits ausgeht, sich nicht an die allgemeinen Gesetze halten würde. Bayles Gegenbeispiel Chinas sei nicht überzeugend, weil auch dort die Gesetze immer im Namen einer höheren Macht erlassen worden seien.
Andererseits seien Atheisten fast niemals Fanatiker, da sie vernunftgeleitet leben. Man müsse aber verhindern, dass sie im Volk zu viel Einfluss bekommen, weil sonst, wie es in Rom geschah, der Staat aufgrund unmäßigen Individualismus‘ zusammenbreche.
Dem komme entgegen, dass es unter den vernünftigen Leuten auch immer weniger Atheisten gebe, seit die Lehre vom Hervorgehen jedes Lebewesens aus einer Keimzelle (wie der Pflanze aus einem Samenkorn) erwiesen sei. Dadurch stehe fest, dass das Leben einem Bauplan folge, was wiederum auf eine causa finalis, eine göttliche Endursache verweise.

Philosophisches Taschenwörterbuch:
D’Ézechiel – Über Ezechiel Inhaltsangabe

Das Buch Ezechiel (oder Hesekiel) aus dem Alten Testament ist nach Voltaire eine sehr amüsante Geschichte, die zu lesen durch die Priester für alle unter 30 verboten war. Man kann sie lesen, soll sich aber nicht wundern, dass damals Dinge gesagt wurden, die heute in höchstem Maße unschicklich sind, weshalb es Voltaire Spass macht, sie wiederzugeben – auf äußerst unterhaltsame Art.

Philosophisches Taschenwörterbuch:
Apocalypse – Apokalypse (Inhaltsangabe)

 





In diesem Artikel geht es um die Apokalypse des Johannes, ein Kapitel der Bibel, das von den Irrungen und Wirrungen, wie sie in der heiligen Schrift vorkommen, zeugt.
Vorstellungen über ein kommendes tausendjähriges Reich, das Erscheinen eines Erlösers nach tausend Jahren, hat es auch vor den Christen immer wieder gegeben.
Ob die Apokalypse im Johannesevangelium wirklich von Johannes stammt, ist unsicher und wurde lange in wirren Pro und Kontraphantastereien hin und her diskutiert.
Viele christliche Umstürzler suchten und fanden darin trotzdem ihre Rechtfertigung, nachdem sie schlussendlich als heilig zugelassen war.

Philosophisches Taschenwörterbuch:
Anthropophages – Menschenfressser (Inhaltsangabe)

Menschenfresser sind nach Voltaire nicht zu verdammen. Es ist verwerflicher, im Krieg andere umzubringen, als sie dann anschliessend zu verspeisen – was sonst die Raben täten. Viele Völker aßen früher Menschenfleisch, auch die Juden, es gibt dafür Hinweise im Levitikus.
Warum aber sagt Voltaire, dass dies bei den Juden der Punkt sei, der „noch fehlte, um das abscheulichste Volk der Welt zu sein“? Diese Polemik ist eine Antwort auf die in christlichen Kreisen übliche Verherrlichung des biblischen alten Volkes Israel als Gottes Volk und Vorläufer der Christen. Voltaire sagt dem Christentum den Kampf an, indem er dessen geheiligte Herkunft, aus der heiligen Schrift selbst belegt, als ‚abscheulich‘ wertet; keinesfalls ist es eine Abwertung zeitgenössischer Juden.

 

De la Liberté – Über die Freiheit (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel De la Liberté – Über die Freiheit aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.



A. Voilà une batterie de canons qui tire à nos oreilles; avez-vous la liberté de l’entendre ou de ne l’entendre pas?

B. Sans doute, je ne puis pas m’empêcher de l’entendre.

A. Voulez-vous que ce canon emporte votre tête et celles de votre femme et de votre fille, qui se promènent avec vous?

B. Quelle proposition me faites-vous là? je ne peux pas, tant que je suis de sens rassis, vouloir chose pareille; cela m’est impossible.

A. Bon; vous entendez nécessairement ce canon, et vous voulez nécessairement ne pas mourir vous et votre famille d’un coup de canon à la promenade; vous n’avez ni le pouvoir de ne pas entendre, ni le pouvoir de vouloir rester ici?

B. Cela est clair.

A. Vous avez en conséquence fait une trentaine de pas pour être à l’abri du canon, vous avez eu le pouvoir de marcher avec moi ce peu de pas?

B. Cela est encore très clair.

A. Si vous aviez été paralytique, vous n’auriez pu éviter d’être exposé à cette batterie, vous n’auriez pas eu le pouvoir d’être où vous êtes; vous auriez nécessairement entendu et reçu un coup de canon; et vous seriez mort nécessairement?

B. Rien n’est plus véritable.

A. En quoi consiste donc votre liberté, si ce n’est dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce que votre volonté exigeait d’une nécessité absolue?

B. Vous m’embarrassez; la liberté n’est donc autre chose que le pouvoir de faire ce que je veux?

A. Réfléchissez-y, et voyez si la liberté peut être entendue autrement.

B. En ce cas, mon chien de chasse est aussi libre que moi; il a nécessairement la volonté de courir quand il voit un lièvre, et le pouvoir de courir s’il n’a pas mal aux jambes. Je n’ai donc rien au-dessus de mon chien; vous me réduisez à l’état des bêtes.

A. Voilà les pauvres sophismes des pauvres sophistes qui vous ont instruit. Vous voilà bien malade d’être libre comme votre chien. Ne mangez-vous pas, ne dormez-vous pas, ne propagez-vous pas comme lui, à l’attitude près? Voudriez-vous avoir l’odorat autrement que par le nez? Pourquoi voudriez-vous avoir la liberté autrement que votre chien?

B. Mais j’ai une âme qui raisonne beaucoup, et mon chien ne raisonne guère. Il n’a presque que des idées simples, et moi j’ai mille idées métaphysiques.

A. Eh bien, vous êtes mille fois plus libre que lui; c’est-à-dire vous avez mille fois plus de pouvoir que lui: mais vous n’êtes pas libre autrement que lui.

B. Quoi! je ne suis pas libre de vouloir ce que je veux?

A. Qu’entendez-vous par là?

B. J’entends ce que tout le monde entend. Ne dit-on pas tous les jours, les volontés sont libres?

A. Un proverbe n’est pas une raison; expliquez-vous mieux.

B. J’entends que je suis libre de vouloir comme il me plaira.

A. Avec votre permission, cela n’a pas de sens; ne voyez-vous pas qu’il est ridicule de dire, je veux vouloir? Vous voulez nécessairement, en conséquence des idées qui se sont présentées à vous. Voulez-vous vous marier, oui ou non?

B. Mais si je vous disais que je ne veux ni l’un ni l’autre?

A. Vous répondriez comme celui qui disait: « Les uns croient le cardinal Mazarin mort, les autres le croient vivant, et moi je ne crois ni l’un ni l’autre. »

B. Eh bien, je veux me marier.

A. Ah! c’est répondre cela. Pourquoi voulez-vous vous marier?

B. Parce que je suis amoureux d’une jeune fille, belle, douce, bien élevée, assez riche, qui chante très bien, dont les parents sont de très honnêtes gens, et que je me flatte d’être aimé d’elle, et fort bien venu de sa famille.

A. Voilà une raison. Vous voyez que vous ne pouvez vouloir sans raison. Je vous déclare que vous êtes libre de vous marier; c’est-à-dire que vous avez le pouvoir de signer le contrat, de faire la noce, et de coucher avec votre femme.

B. Comment! je ne peux vouloir sans raison? Et que deviendra cet autre proverbe: Sit pro ratione voluntas; ma volonté est ma raison, je veux parce que je veux?

A. Cela est absurde, mon cher ami; il y aurait en vous un effet sans cause.

B. Quoi! lorsque je joue à pair ou non, j’ai une raison de choisir pair plutôt qu’impair?

A. Oui, sans doute.

B. Et quelle est cette raison, s’il vous plaît?

A. C’est que l’idée de pair s’est présentée à votre esprit plutôt que l’idée opposée. Il serait plaisant qu’il y eût des cas ou vous voulez parcs qu’il y a une cause de vouloir, et qu’il y eût quelques cas ou vous voulussiez sans cause. Quand vous voulez vous marier, vous en sentez la raison dominante évidemment; vous ne la sentez pas quand vous jouez à pair ou non et cependant il faut bien qu’il y en ait une.

B. Mais, encore une fois, je ne suis donc pas libre?

A. Votre volonté n’est pas libre, mais vos actions le sont. Vous êtes libre de faire quand vous avez le pouvoir de faire.

B. Mais tous les livres que j’ai lus sur la liberté d’indifférence…
A. sont des sotties; il ny pas point de liberté d’indifference, c’est un mot destitute de sens, inventé par des gens qui n’en savaient guères..

Inondation – Überflutung (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Inondation – Überflutung aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Y a-t-il en un temps où le globe ait été entièrement inondé? Cela est physiquement impossible. Ils se peut que successivement la mer ait couvert tous les terrains l’un après l’autre; et cela ne peut être arrivé que par une gradation lente, dans une multitude prodigieuse de siècles. La mer, en cinq cents années de temps, s’est retirée d’Aigues-Mortes, de Fréjus, de Ravenne, qui étaient de grands ports, et a laissé environ deux lieues de terrain à sec. Par cette progression, il est évident qu’il lui faudrait deux millions deux cent cinquante mille ans pour faire le tour de notre globe. Ce qui est très remarquable, c’est que cette période approche fort de celle qu’il faut à l’axe de la terre pour se relever et pour coïncider avec l’équateur; mouvement très vraisemblable, qu’on commence depuis cinquante ans à soupçonner, et qui ne peut s’effectuer que dans l’espace de deux millions et plus de trois cent mille années.
Les lits, les couches de coquilles, qu’on a découverts à quelques lieues de la mer, sont une preuve incontestable qu’elle a déposé peu à peu ses productions maritimes sur des terrains qui étaient autrefois les rivages de l’océan; mais que l’eau ait couvert entièrement tout le globe à la fois, c’est une chimère absurde en physique, démontrée impossible par les lois de la gravitation, par les lois des fluides, par l’insuffisance de la quantité d’eau. Ce n’est pas qu’on prétende donner la moindre atteinte à la grande vérité du déluge universel, rapporté dans le Pentateuque: au contraire, c’est un miracle; donc il faut le croire: c’est un miracle; donc il n’a pu être exécuté par les lois physiques.
Tout est miracle dans l’histoire du déluge. Miracle que quarante jours de pluie aient inondé les quatre parties du monde, et que l’eau se soit élevée de quinze coudées au-dessus de toutes les plus hautes montagnes; miracle qu’il y ait eu des cataractes, des portes, des ouvertures dans le ciel; miracle que tous les animaux se soient rendus dans l’arche de toutes les parties du monde; miracle que Noé ait trouvé de quoi les nourrir pendant dix mois; miracle que tous les animaux aient tenu dans l’arche avec leurs provisions; miracle que la plupart n’y soient pas morts; miracle qu’ils aient trouvé de quoi se nourrir en sortant de l’arche; miracle encore, mais d’une autre espèce, qu’un nommé Le Pelletier ait cru expliquer comment tous les animaux ont pu tenir et se nourrir naturellement dans l’arche de Noé.
Or, l’histoire du déluge étant la chose la plus miraculeuse dont on ait jamais entendu parler, il serait insensé de l’expliquer: ce sont de ces mystères qu’on croit par la foi, et la foi consiste à croire ce que la raison ne croit pas; ce qui est encore un autre miracle.
Ainsi l’histoire du déluge est comme celle de la tour de Babel, de l’ânesse de Balaam, de la chute de Jéricho au son des trompettes, des eaux changées en sang, du passage de la mer Rouge, et de tous les prodiges que Dieu daigna faire en faveur des élus de son peuple. Ce sont des profondeurs que l’esprit humain ne peut sonder.

Idole, Idolâtre, Idolâtrie – Götzenbild, Götzendiener (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Idole, Idolâtre, Idolâtrie – Götzenbild, Götzendiener aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Idole, vient du grec eidos, figure; eidolos, représentation d’une figure, latreuein, servir, révérer, adorer. Ce mot adorer est latin et a beaucoup d’acceptions différentes: il signifie porter la main à la bouche en parlant avec respect, se courber, se mettre à genoux, saluer, et enfin communément, rendre un culte suprême.
Il est utile de remarquer ici que le Dictionnaire de Trévoux commence cet article par dire que tous les païens étaient idolâtres, et que les Indiens sont encore des peuples idolâtres. Premièrement, on n’appela personne païen avant Théodose le Jeune. Ce nom fut donné alors aux habitants des bourgs d’Italie, pagorum incolae, pagani, qui conservèrent leur ancienne religion. Secondement, l’Indoustan est mahométan; et les mahométans sont les implacables ennemis des images et de l’idolâtrie. Troisièmement, on ne doit point appeler idolâtres beaucoup de peuples de l’Inde qui sont de l’ancienne religion des Parsis, ni certaines castes qui n’ont point d’idole.

E X A M E N

Y a-t-il jamais eu un gouvernement idolâtre?


Il paraît que jamais il n’y a eu aucun peuple sur la terre qui ait pris ce nom d’idolâtre. Ce mot est une injure, un terme outrageant, tel que celui de gavache que les Espagnols donnaient autrefois aux Français, et celui de maranes que les Français donnaient aux Espagnols, si on avait demandé au sénat de Rome, à l’aréopage d’Athènes, à la cour des rois de Perses: Êtes-vous idolâtres? ils auraient à peine entendu cette question. Nul n’aurait répondu: « Nous adorons des images, des idoles. » On ne trouve ce mot idolâtre, idolâtrie, ni dans Homère, ni dans Hésiode, ni dans Hérodote, ni dans aucun auteur de la religion des gentils. Il n’y a jamais eu aucun édit, aucune loi qui ordonnât qu’on adorât des idoles, qu’on les servît en dieux, qu’on les regardât comme des Dieux.
Quand les capitaines romains et carthaginois faisaient un traité, ils attestaient tous leurs dieux, « C’est en leur présence, disaient-ils, que nous jurons la paix. » Or, les statues de tous ces dieux, dont le dénombrement était très long, n’étaient pas dans la tente des généraux. Ils regardaient ou feignaient les dieux comme présents aux actions des hommes, comme témoins, comme juges. Et ce n’est pas assurément le simulacre qui constituait la divinité.
De quel oeil voyaient-ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples? du même oeil, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que les catholiques voient les images, objets de leur vénération. L’erreur n’était pas d’adorer un morceau de bois ou de marbre, mais d’adorer une fausse divinité représentée par ce bois et ce marbre. La différence entre eux et les catholiques n’est pas qu’ils eussent des images et que les catholiques n’en aient point; la différence est que leurs images figuraient des êtres fantastiques dans une religion fausse, et que les images chrétiennes figurent des êtres réels dans une religion véritable. Les Grecs avaient la statue d’Hercule, et nous celle de saint Christophe; ils avaient Esculape et sa chèvre, et nous saint Roch et son chien; ils avaient Mars et sa lance, et nous St. Antoine de Padoue et St. Jacques de Compostela.
Quand le consul Pline adresse les prières aux Dieux immortels, dans l’exorde du panégyrique de Trajan, ce n’est pas à des images qu’il les adresse. Ces images n’étaient pas immortelles.
Ni les derniers temps du paganisme; ni les plus reculés, n’offrent un seul fait qui puisse faire conclure qu’on adorât une idole. Homère ne parle que des dieux qui habitent le haut Olympe. Le palladium, quoique tombé du ciel, n’était qu’un gage sacré de la protection de Pallas; c’était elle qu’on vénérait dans le palladium: c’était notre sainte ampoule
Mais les Romains et les Grecs se mettaient à genoux devant des statues, leur donnaient des couronnes, de l’encens, des fleurs, les promenaient en triomphe dans les places publiques. Les catholiques ont sanctifié ces coutumes, et ne se disent point idolâtres.
Les femmes, en temps de sécheresse, portaient les statues des dieux après avoir jeûné. Elles marchaient pieds nus, les cheveux épars; et aussitôt il pleuvait à seaux, comme dit Pétrone: Statim urceatim pluebat. N’a-t-on pas consacré cet usage, illégitime chez les gentils, et légitime parmi les catholiques? Dans combien de villes ne porte-t-on pas nu-pieds des charognes pour obtenir les bénédictions du ciel par leur intercession? Si un Turc, un lettré chinois était témoin de ces cérémonies, il pourrait par ignorance accuser les Italiens de mettre leur confiance dans les simulacres qu’ils promènent ainsi en procession, mais il suffirait d’un mot pour le détromper.
On est surpris du nombre prodigieux de déclamations débitées dans tous les temps contre l’idolâtrie des Romains et des Grecs; et ensuite on est plus surpris encore quand on voit qu’ils n’étaient pas idolâtres.
Il y avait des temples plus privilégiés que les autres. La grande Diane d’Éphèse avait plus de réputation qu’une Diane de village. Il se faisait plus de miracles dans le temple d’Esculape à Épidaure que dans un autre de ses temples. La statue de Jupiter Olympien attirait plus d’offrandes que celle de Jupiter Paphlagonien. Mais puisqu’il faut toujours opposer ici les coutumes d’une religion vraie à celle d’une religion fausse, n’avons-nous pas eu depuis plusieurs siècles plus de dévotion à certains autels qu’à d’autres?
Ne portons-nous pas plus d’offrandes à Notre-Dame de Lorette qu‘à Notre-Dame des Neiges? C’est à nous à voir si on doit saisir ce prétexte pour nous accuser d’idolâtrie?
Il en était absolument de même chez les païens: on n’avait imaginé qu’une seule divinité, un seul Apollon, et non pas autant d’Apollons et de Dianes qu’ils avaient de temples et de statues. Il est donc prouvé, autant qu’un point d’histoire peut l’être, que les anciens ne croyaient pas qu’une statue fut une divinité, que le culte ne pouvait être rapporté à cette statue, à cette idole et par conséquent les anciens n’étaient point idolâtres. C’est à nous à voir si on doit saisir ce prétexte pour nous accuser d’idolâtrie.
On n’avait imaginé qu’une seule Diane, un seul Apollon, un seul Esculape, non pas autant d’Apollons, de Dianes et d’Esculapes qu’ils avaient de temples et de statues. Il est donc prouvé, autant qu’un point d’histoire peut l’être. Que les anciens ne croyaient pas que une statue fût une divinité, que le culte ne pouvait être rapporté à cette statue, à cette idole, et que par conséquent les anciens n’étaient pas idolâtres.
Une populace grossière et superstitieuse qui ne raisonnait point, qui ne savait ni douter ni nier, ni croire, qui courait au temple par oisiveté, et parce que les petits y sont égaux aux grands, qui portait son offrande par coutume, qui parlait continuellement de miracles sans en avoir examiné aucun, et qui n’était guère au-dessus des victimes qu’elle amenait; cette populace, dis-je, pouvait bien, à la vue de la grande Diane et de Jupiter tonnant, être frappée d’une horreur religieuse, et adorer, sans le savoir, la statue même; c’est ce qui est arrivé quelquefois dans nos temples à nos paysans grossiers; et on n’a pas manqué de les instruire que c’est aux bienheureux, aux mortels reçus dans le ciel qu’ils doivent demander leur intercession, et non à des figures de bois et de Pierre et qu’ils ne doivent adorer que Dieu seul.
Les Grecs et les Romains augmentèrent le nombre de leurs dieux par leurs apothéoses. Les Grecs divinisaient les conquérants, comme Bacchus, Hercule, Persée. Rome dressa des autels à ses empereurs. Nos apothéoses sont d’un genre différent. Nous avons des Saints au lieu de leurs demi-Dieux, de leurs Dieux secondaires, mais nous n’avons égard ni au rang ni aux conquêtes. Nous avons élevé des temples à des hommes simplement vertueux, qui seraient ignorés sur la terre s’ils n’étaient placés dans le ciel. Les apothéoses des anciens sont faites par la flatterie, les nôtres par le respect pour la vertu. Mais ces anciennes apothéoses sont encore une preuve convaincante que les Grecs et les Romains n’étaient point proprement idolâtres. Il est clair qu’ils n’admettaient plus une vertu divine à la statue d’Auguste et de Claudius, que dans leurs médailles.
Cicéron, dans ses ouvrages philosophiques, ne laisse pas soupçonner seulement qu’on puisse se méprendre aux statues des dieux, et les confondre avec les dieux mêmes. Ses interlocuteurs foudroient la religion établie; mais aucun d’eux n’imagine d’accuser les Romains de prendre du marbre et de l’airain pour des divinités. Lucrèce ne reproche cette sottise à personne, lui qui reproche tout aux superstitieux. Donc, encore une fois, cette opinion n’existait pas, on n’en avait aucune idée; il n’y avait point d’idolâtres.
Horace fait parler une statue de Priape, il lui fait dire: J’étais autrefois un tronc de figuier; un charpentier, ne sachant s’il ferait de moi un dieu ou un banc, se détermina enfin a me faire Dieu. Que conclure de cette plaisanterie? Priape était de ces divinités subalternes, abandonnées aux railleurs; et cette plaisanterie même est la preuve la plus forte que cette figure de Priape, qu’on mettait dans les potagers pour effrayer les oiseaux, n’était pas fort révérée.
Dacier, en se livrant à l’esprit commentateur, n’a pas manqué d’observer que Baruch avait prédit cette aventure, en disant: Ils ne seront que ce que voudront les ouvriers; mais il pouvait observer aussi qu’on en peut dire autant de toutes les statues.
On peut d’un bloc de marbre tirer tout aussi bien une cuvette qu’une figure d’Alexandre ou de Jupiter, ou de quelque autre chose plus respectable. La matière dont étaient formés les chérubins du Saint des saints aurait pu servir également aux fonctions les plus viles. Un trône, un autel, en sont-ils moins révérés parce que l’ouvrier en pouvait faire une table de cuisine?
Dacier, au lieu de conclure que les Romains adoraient la statue de Priape, et que Baruch l’avait prédit, devait donc conclure que les Romains s’en moquaient. Consultez tous les auteurs qui parlent des statues de leurs dieux, vous n’en trouverez aucun qui parle d’idolâtrie; ils disent expressément le contraire. Vous voyez dans:
Qui finxit sacros auro vel marmore vultus,
Non facit ille deos;


Dans Ovide:
Colitur pro Jove forma Jovis.

Dans Stace:
Nulla autem effigies, nulli commissa metallo.
Forma Dei; mentes habitare ac numina gaudet.


Dans Lucain:
Estne Dei sedes, nisi terra et pontus et aer?

On ferait un volume de tous les passages qui déposent que des images n’étaient que des images.
Il n’y a que le cas où les statues rendaient des oracles qui ait pu faire penser que ces statues avaient en elles quelque chose de divin. Mais certainement l’opinion régnante était que les dieux avaient choisi certains autels, certains simulacres pour y venir résider quelquefois, pour y donner audience aux hommes, pour leur répondre. On ne voit dans Homère et dans les choeurs des tragédies grecques que des prières à Apollon qui rend ses oracles sur les montagnes, en tel temple, en telle ville; il n’y a pas dans toute l’antiquité la moindre trace d’une prière adressée à une statue; si on croyait que l’esprit divin préférait quelques temples, quelques images, comme on croyait aussi qu’il préférait quelques hommes, la chose était certainement possible; ce n’était qu’une erreur de fait. Combien avons-nous d’images miraculeuses! Les anciens se vantaient d’avoir ce que nous possédons en effet; et si nous ne sommes point idolâtres, de quel droit dirons-nous qu’ils l’ont été?
Ceux qui professaient la magie, qui la croyaient une science, ou qui feignaient de le croire, prétendaient avoir le secret de faire descendre les dieux dans les statues; non pas les grands dieux, mais les dieux secondaires, les génies. C’est ce que Mercure Trimégiste appelait faire des dieux; et c’est ce que saint Augustin réfute dans sa Cité de Dieu. Mais cela même montre évidemment que les simulacres n’avaient rien en eux de divin, puisqu’il fallait qu’un magicien les animât; et il me semble qu’il arrivait bien rarement qu’un magicien fût assez habile pour donner une âme à une statue, pour la faire parler.
En un mot, les images des dieux n’étaient point des dieux. Jupiter, et non pas son image, lançait le tonnerre; ce n’était pas la statue de Neptune qui soulevait les mers, ni celle d’Apollon qui donnait la lumière. Les Grecs et les Romains étaient des gentils, des polythéistes, et n’étaient point des idolâtres.
Si les Perses, les Sabéens, les Égyptiens, les Tartares, les Turcs, ont été idolâtres; et de quelle antiquité est l’origine des simulacres appelés idoles. Histoire de leur culte.


C’est une grande erreur d’appeler idolâtres les peuples qui rendirent un culte au soleil et aux étoiles. Ces nations n’eurent longtemps ni simulacres ni temples. Si elles se trompèrent, c’est en rendant aux astres ce qu’elles devaient au créateur des astres. Encore le dogme de Zoroastre ou Zerdust, recueilli dans le Sadder, enseigne-t-il un Être suprême, vengeur et rémunérateur; et cela est bien loin de l’idolâtrie. Le gouvernement de la Chine n’a jamais eu aucune idole; il a toujours conservé le culte simple du maître du ciel Kingtien.
Gengis-kan chez les Tartares n’était point idolâtre, et n’avait aucun simulacre. Les musulmans, qui remplissent la Grèce, l’Asie-Mineure, la Syrie, la Perse, l’Inde et l’Afrique, appellent les chrétiens idolâtres, giaours, parce qu’ils croient que les chrétiens rendent un culte aux images. Ils brisèrent plusieurs statues qu’ils trouvèrent à Constantinople, dans Sainte-Sophie et dans l’église des Saints-Apôtres et dans d’autres, qu’ils convertirent en mosquées. L’apparence les trompa comme elle trompe toujours les hommes, et leur fit croire que des temples dédiés à des saints qui avaient été hommes autrefois, des images de ces saints révérées à genoux, des miracles opérés dans ces temples, étaient des preuves invincibles de l’idolâtrie la plus complète; cependant il n’en est rien. Les chrétiens n’adorent en effet qu’un seul Dieu, et ne révèrent dans les bienheureux que la vertu même de Dieu, qui gît dans ses saints. Les iconoclastes et les protestants ont fait le même reproche d’idolâtrie à l’Église, et on leur a fait la même réponse.
Comme les hommes ont eu très rarement des idées précises. et ont encore moins exprimé leurs idées par des mots précis et sans équivoque, nous appelâmes du nom d’idolâtres les gentils et surtout les polythéistes. On a écrit des volumes immenses, on a débité des sentiments divers sur l’origine de ce culte rendu à Dieu ou à plusieurs dieux sous des figures sensibles: cette multitude de livres et d’opinions ne prouve que l’ignorance.
On ne sait pas qui inventa les habits et les chaussures, et on veut savoir qui le premier inventa les idoles! Qu’importe un passage de Sanchoniaton, qui vivait avant la guerre de Troye? que nous apprend-il, quand il dit que le chaos, l’esprit, c’est-à-dire le souffle, amoureux de ses principes. en tira le limon, qu’il rendit l’air lumineux, que le vent Colp et sa femme Baü engendrèrent Eon, qu’Eon engendra Genos, que Cronos, leur descendant, avait deux yeux par derrière comme par devant, qu’il devint dieu, et qu’il donna l’Égypte à son fils Taut? voilà un des plus respectables monuments de l’antiquité.
Orphée ne nous en apprendra pas davantage dans sa Théogonie, que Damascius nous a conservée. Il représente le principe du monde sous la figure d’un dragon à deux têtes, l’une de taureau, l’autre de lion, un visage au milieu, qu’il appelle visage-dieu, et des ailes dorées aux épaules.
Mais vous pouvez de ces idées bizarres tirer deux grandes vérités: l’une, que les images sensibles et les hiéroglyphes sont de l’antiquité la plus haute; l’autre, que tous les anciens philosophes ont reconnu un premier principe.
Quant au polythéisme, le bon sens vous dira que dès qu’il y a eu des hommes, c’est-à-dire des animaux faibles, capables de raison et de folie, sujets à tous les accidents, à la maladie et à la mort, ces hommes ont senti leur faiblesse et leur dépendance; ils ont reconnu aisément qu’il est quelque chose de plus puissant qu’eux; ils ont senti une force dans la terre, qui fournit leurs aliments; une dans l’air, qui souvent les détruit; une dans le feu, qui consume; et dans l’eau, qui submerge. Quoi de plus naturel dans des hommes ignorants que d’imaginer des êtres qui présidaient à ces éléments? quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisait luire aux yeux le soleil et les étoiles? et dès qu’on voulut se former une idée de ces puissances supérieures à l’homme, quoi de plus naturel encore que de les figurer d’une manière sensible? Pouvait-on s’y prendre autrement? La religion juive, qui précéda la nôtre, et qui fut donnée par Dieu même, était toute remplie de ces images sous lesquelles Dieu est représenté. Il daigne parler dans un buisson le langage humain; il paraît sur une montagne: les esprits célestes qu’il envoie viennent tous avec une forme humaine; enfin le sanctuaire est couvert de chérubins, qui sont des corps d’hommes avec des ailes et des têtes d’animaux. C’est ce qui a donné lieu à l’erreur de Plutarque, de Tacite d’Appien et de tant d’autres, de reprocher aux Juifs d’adorer une tête d’âne. Dieu, malgré sa défense de peindre et de sculpter aucune figure, a donc daigné se proportionner à la faiblesse humaine qui demandait qu’on parlât aux sens par des images.
Isaïe, dans le chapitre vi, voit le Seigneur assis sur un trône et le bas de sa robe qui remplit le temple. Le Seigneur étend sa main, et touche la bouche de Jérémie, au chapitre i de ce prophète. Ézéchiel au chapitre i voit un trône de saphir, et Dieu lui paraît comme un homme assis sur ce trône. Ces images n’altèrent point la pureté de la religion juive, qui jamais n’employa les tableaux, les statues, les idoles pour représenter Dieu aux yeux du peuple.
Les lettrés Chinois, les Parsis, les anciens Égyptiens, n’eurent point d’idoles; mais bientôt Isis et Osiris furent figurés; bientôt Bel à Babylone, fut un gros colosse; Brama fut un monstre bizarre dans la presqu’île de l’Inde. Les Grecs surtout multiplièrent les noms des dieux, les statues et les temples, mais en attribuant toujours la suprême puissance à leur Zeus, nommé par les Latins Jupiter, maître des dieux et des hommes. Les Romains imitèrent les Grecs. Ces peuples placèrent toujours tous les dieux dans le ciel, sans savoir ce qu’ils entendaient par le ciel.
Les Romains eurent leurs douze grands dieux, six mâles et six femelles, qu’ils nommèrent Dii majorum gentium: Jupiter, Neptune, Apollon, Vulcain, Mars, Mercure, Junon, Vesta, Minerve, Cérès, Vénus, Diane. Pluton fut oublié; Vesta prit sa place.
Ensuite venaient les dieux minorum gentium, les dieux indigètes, les héros, comme Bacchus, Hercule, Esculape; les dieux infernaux Pluton, Proserpine; ceux de la mer, comme Thétis, Amphitrite, les Néréides, Glaucus: puis les Dryades, les Naïades, les dieux des jardins, ceux des bergers: il y en avait pour chaque profession, pour chaque action de la vie, pour les enfants, pour les filles nubiles, pour les mariées, pour les accouchées; on eut le dieu Pet. On divinisa enfin les empereurs. Ni ces empereurs, ni le dieu Pet, ni la déesse Pertunda, ni Rumilia, la déesse des têtons, ni Stercutius, le dieu de la garde-robe, ne furent à la vérité regardés comme les maîtres du ciel et de la terre. Les empereurs eurent quelquefois des temples, les petit dieux pénates n’en eurent point; mais tous eurent leur figure, leur idole.
C’étaient de petits magots dont on ornait son cabinet; c’étaient les amusements des vieilles femmes et des enfants, qui n’étaient autorisés par aucun culte public. On laissait agir à son gré la superstition de chaque particulier. On retrouve encore ces petites idoles dans les ruines des anciennes villes.
Si personne ne sait quand les hommes commencèrent à se faire des idoles, on sait qu’elles sont de l’antiquité la plus haute. Tharé, père d’Abraham, en faisait à Ur en Chaldée. Rachel déroba et emporta les idoles de son beau-père Laban. On ne peut remonter plus haut.
Mais quelle notion précise avaient les anciennes nations de tous ces simulacres? Quelle vertu, quelle puissance leur attribuait-on? Croyait-on que les dieux descendaient du ciel pour venir se cacher dans ces statues, ou qu’ils leur communiquaient une partie de l’esprit divin, ou qu’ils ne leur communiquaient rien du tout? C’est encore sur quoi on a très inutilement écrit; il est clair que chaque homme en jugeait selon le degré de sa raison, ou de sa crédulité, ou de son fanatisme. Il est évident que les prêtres attachaient le plus de divinité qu’ils pouvaient à leurs statues, pour s’attirer plus d’offrandes. On sait que les philosophes réprouvaient ces superstitions, que les guerriers s’en moquaient, que les magistrats les toléraient, et que le peuple toujours absurde, ne savait ce qu’il faisait. C’est, en peu de mots, l’histoire de toutes les nations à qui Dieu ne s’est pas fait connaître.
On peut se faire la même idée du culte que toute l’Égypte rendit à un boeuf, et que plusieurs villes rendirent à un chien, à un singe, à un chat, à des oignons. Il y a grande apparence que ce furent d’abord des emblèmes. Ensuite un certain boeuf Apis, un certain chien nommé Anubis, furent adorés; on mangea toujours du boeuf et des oignons: mais il est difficile de savoir ce que pensaient les vieilles femmes d’Égypte des oignons sacrés et des boeufs.
Les idoles parlaient assez souvent. On faisait commémoration à Rome, le jour de la fête de Cybèle, des belles paroles que la statue avait prononcées lorsqu’on en fit la translation du palais du roi Attale:

Ipsa pati volui; ne sit mora, mitte volentem:
Dignus Roma locus quo deus omnis eat.



“J’ai voulu qu’on m’enlevât, emmenez-moi vite: Rome est digne que tout dieu s’y établisse.” La statue de la Fortune avait parlé: les Scipion, les Cicéron, les César, à la vérité, n’en croyaient rien; mais la vieille à qui Encolpe donna un écu pour acheter des oies et des dieux(57) pouvait fort bien le croire.
Les idoles rendaient aussi des oracles, et les prêtres, cachés dans le creux des statues, parlaient au nom de la divinité.
Comment, au milieu de tant de dieux et de tant de théogonies différentes, et de cultes particuliers, n’y eut-il jamais de guerre de religion chez les peuples nommés idolâtres? Cette paix fut un bien qui naquit d’un mal, de l’erreur même; car chaque nation, reconnaissant plusieurs dieux inférieurs, trouva bon que ses voisins eussent aussi les leurs. Si vous exceptez Cambyse, à qui on reprocha d’avoir tué le boeuf Apis, on ne voit dans l’histoire profane aucun conquérant qui ait maltraité les dieux d’un peuple vaincu. Les gentils n’avaient aucune religion exclusive, et les prêtres ne songèrent qu’à multiplier les offrandes et les sacrifices.
Les premières offrandes furent des fruits. Bientôt après il fallut des animaux pour la table des prêtres; il les égorgeaient eux-mêmes; ils devinrent bouchers et cruels: enfin ils introduisirent l’usage horrible de sacrifier des victimes humaines, et surtout des enfants et des jeunes filles. Jamais les Chinois, ni les Parsis, ni les Indiens, ne furent coupables de ces abominations; mais à Hiéropolis en Égypte, au rapport de Porphyre, on immola des hommes.
Dans la Tauride on sacrifiait des étrangers; heureusement les prêtres de la Tauride ne devaient pas avoir beaucoup de pratiques. Les premiers Grecs, les Cypriots, les Phéniciens, les Tyriens, les Carthaginois, eurent cette superstition abominable. Les Romains eux-mêmes tombèrent dans ce crime de religion; et Plutarque rapporte qu’ils immolèrent deux Grecs et deux Gaulois pour expier les galanteries de trois vestales. Procope, contemporain du roi des Francs Théodebert, dit que les Francs immolèrent des hommes quand ils entrèrent en Italie avec ce prince. Les Gaulois, les Germains, faisaient communément de ces affreux sacrifices. On ne peut guère lire l’histoire sans concevoir de l’horreur pour le genre humain.
Il est vrai que, chez les Juifs, Jephté sacrifia sa fille, et que Saül fut prêt d’immoler son fils; il est vrai que ceux qui étaient voués au Seigneur par anathème ne pouvaient être rachetés ainsi qu’on rachetait les bêtes, et qu’il fallait qu’ils périssent. Samuel prêtre Juif hacha en morceaux avec un saint couperet le roi Agag prisonnier de guerre et qui Saul avait pardonner, et Saul fut réprouvé pour avoir observe le droit des gens avec ce roi. Mais Dieu maître des homes, peut leur ôter la vie quand il veut, comme il le veut, et par qui il veut; et ce n’est pas aux homes à se metre à la place du maître de la vie et de la mort, et à usurper les droits de l’Être suprême.
Pour consoler le genre humain de cet horrible tableau, de ces pieux sacrilèges, il est important de savoir que, chez presque toutes les nations nommées idolâtres, il y avait la théologie sacrée et l’erreur populaire, le culte secret et les cérémonies publiques, la religion des sages et celle du vulgaire. On n’enseignait qu’un seul Dieu aux initiés dans les mystères: il n’y a qu’à jeter les yeux sur l’hymne attribué à l’ancien Orphée, qu’on chantait dans les mystères de Cérès Éleusine, si célèbre en Europe et en Asie. “Contemple la nature divine, illumine ton esprit, gouverne ton coeur, marche dans la voie de la justice, que le Dieu du ciel et de la terre soit toujours présent à tes yeux; il est unique, il existe seul par lui-même, tous les êtres tiennent de lui leur existence; il les soutient tous: il n’a jamais été vu des mortels, et il voit toutes choses.”
Qu’on lise encore ce passage du philosophe Maxime de Madaure, dans sa lettre à St. Augustin: “Quel homme est assez grossier, assez stupide pour douter qu’il soit un Dieu suprême, éternel, infini, qui n’a rien engendré de semblable à lui-même, et qui est le père commun de toutes choses?”
Il y a mille témoignages que les sages abhorraient non seulement l’idolâtrie, mais encore le polythéisme.
Épictète, ce modèle de résignation et de patience, cet homme si grand dans une condition si basse, ne parle jamais que d’un seul Dieu. Relisez encore cette maxime: „Dieu m’a créé, Dieu est au dedans de moi; je le porte partout. Pourrais-je le souiller par des pensées obscènes, par des actions injustes, par d’infâmes désirs? Mon devoir est de remercier Dieu de tout, de le louer de tout, et de ne cesser de le bénir qu’en cessant de vivre.“ Toutes les idées d’Épictète roulent sur ce principe.
Marc-Aurèle, aussi grand peut-être sur le trône de l’empire romain qu’Épictète dans l’esclavage, parle souvent, à la vérité, des dieux, soit pour se conformer au langage reçu, soit pour exprimer des êtres mitoyens entre l’Être suprême et les hommes: mais en combien d’endroits ne fait-il pas voir qu’il ne reconnaît qu’un Dieu éternel, infini! “Notre âme, dit-il, est une émanation de la Divinité. Mes enfants, mon corps, mes esprits, me viennent de Dieu.”
Les stoïciens, les platoniciens, admettaient une nature divine et universelle; les épicuriens la niaient. Les pontifes ne parlaient que d’un seul Dieu dans les mystères. Où étaient donc les idolâtres? Tous nos déclamateurs crient à l’idolâtrie comme de petits chiens qui jappent quand ils entendent un gros chien aboyer.
Au reste, c’est une des plus grandes erreurs du Dictionnaire de Moréri, de dire que du temps de Théodose le Jeune il ne resta plus d’idolâtres que dans les pays reculés de l’Asie et de l’Afrique. Il y avait dans l’Italie beaucoup de peuples encore gentils, même au septième siècle. Le nord de l’Allemagne, depuis le Vézer, n’était pas chrétien du temps de Charlemagne. La Pologne et tout le Septentrion restèrent longtemps après lui dans ce qu’on appelle idolâtrie. La moitié de l’Afrique, tous les royaumes au delà du Gange, le Japon, la populace de la Chine, cent hordes de Tartares, ont conservé leur ancien culte. Il n’y a plus en Europe que quelques Lapons, quelques Samoyèdes, quelques Tartares, qui aient persévéré dans la religion de leurs ancêtres.
Finissons par remarquer que, dans les temps qu’on appelle parmi nous le moyen-âge, nous appelions le pays des mahométans la Paganie; nous traitions d’idolâtres, d’adorateurs d’images, un peuple qui a les images en horreur. Avouons, encore une fois, que les Turcs sont plus excusables de nous croire idolâtres, quand ils voient nos autels chargés d’images et de statues.

Histoire des rois juifs et paralipomène – Geschichte der jüdischen Könige und Paralipomena (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Histoire des rois juifs et paralipomène – Geschichte der jüdischen Könige und Paralipomena aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.



Tous les peuples ont écrit leur histoire dès qu’ils ont pu écrire. Les Juifs ont aussi écrit la leur. Avant qu’ils eussent des rois, ils vivaient sous une théocratie; ils étaient censés gouvernés par Dieu même.
Quand les Juifs voulurent avoir un roi comme les autres peuples leurs voisins, le prophète Samuel, très intéressé à n’avoir point de roi, leur déclara de la part de Dieu que c’était Dieu lui-même qu’ils rejetaient; ainsi la théocratie finit chez les Juifs lorsque la monarchie commença.
On pourrait donc dire sans blasphémer que l’histoire des rois juifs a été écrite comme celle des autres peuples, et que Dieu n’a pas pris la peine de dicter lui-même l’histoire d’un peuple qu’il ne gouvernait plus.
On n’avance cette opinion qu’avec la plus extrême défiance. Ce qui pourrait la confirmer, c’est que les Paralipomènes contredisent très souvent le livre des Rois dans la chronologie et dans les faits, comme nos historiens profanes se contredisent quelquefois. De plus, si Dieu a toujours écrit l’histoire des Juifs, il faut donc croire qu’il l’écrit encore; car les Juifs sont toujours son peuple chéri. Ils doivent se convertir un jour, et il paraît qu’alors ils seront aussi en droit de regarder l’histoire de leur dispersion comme sacrée, qu’ils sont en droit de dire que Dieu écrivit l’histoire de leurs rois.
On peut encore faire une réflexion; c’est que Dieu, ayant été leur seul roi très longtemps, et ensuite ayant été leur historien, nous devons avoir pour tous les Juifs le respect le plus profond. Il n’y a point de fripier juif qui ne soit infiniment au-dessus de César et d’Alexandre. Comment ne se pas prosterner devant un fripier qui vous prouve que son histoire a été écrite par la Divinité même, tandis que les histoires grecques et romaines ne nous ont été transmises que par des profanes?
Si le style de l’Histoire des Rois et des Paralipomènes est divin, il se peut encore que les actions racontées dans ces histoires ne soient pas divines. David assassine Urie. Isboseth et Miphiboseth sont assassinés. Absalon assassine Ammon; Joab assassine Absalon; Salomon assassine Adonias son frère; Baasa assassine Nadab; Zambri assassine Éla; Amri assassine Zambri; Achab assassine Naboth; Jéhu assassine Achab et Joram; les habitants de Jérusalem assassinent Amasias, fils de Joas; Sellum, fils de Jabès, assassine Zacharias, fils de Jéroboam; Manahem assassine Sellum, fils de Jabès; Phacée, fils de Roméli, assassine Phaceia, fils de Manahem; Osée, fils d’Éla, assassine Phacée, fils de Roméli. On passe sous silence beaucoup d’autres menus assassinats. Il faut avouer que si le Saint-Esprit a écrit cette histoire, il n’a pas choisi un sujet fort édifiant.

D’Ezechiel – Über Hesekiel (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel D`Ézéchiel – Über Hesekiel aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.



De quelques passages singuliers de ce prophète,
et de quelques usages anciens


On sait assez aujourd’hui qu’il ne faut pas juger des usages anciens par les modernes: qui voudrait réformer la cour d’Alcinoüs dans l’Odyssée sur celle du Grand Turc ou de Louis XIV ne serait pas bien reçu des savants; qui reprendrait Virgile d’avoir représenté le roi Évandre couvert d’une peau d’ours, et accompagné de deux chiens, pour recevoir des ambassadeurs, serait un mauvais critique.
Les moeurs des anciens Égyptiens et Juifs sont encore plus différentes des nôtres que celles du roi Alcinoüs, de Nausica sa fille, et du bonhomme Évandre. Ézéchiel, esclave chez les Chaldéens, eut une vision près de la petite rivière de Chobar qui se perd dans l’Euphrate.
On ne doit point être étonné qu’il ait vu des animaux à quatre faces et à quatre ailes, avec des pieds de veau, ni des roues qui marchaient tontes seules, et qui avaient l’esprit de vie; ces symboles plaisent même à l’imagination: mais plusieurs critiques se sont révoltés contre l’ordre que le Seigneur lui donna de manger, pendant trois cent quatre-vingt-dix jours, du pain d’orge, de froment et de millet, couvert de merde.
Le prophète s’écria: « Pouah! pouah! pouah! mon âme n’a point été jusqu’ici polluée; » et le Seigneur lui répondit: « Eh bien! je vous donne de la fiente de boeuf au lieu d’excréments d’homme, et vous pétrirez votre pain avec cette fiente. »
Comme il n’est point d’usage de manger de telles confitures sur son pain, la plupart des hommes trouvent ces commandements indignes de la majesté divine. Cependant il faut avouer que de la bouse de vache et tous les diamants du Grand-Mogol sont parfaitement égaux, non seulement aux yeux d’un être divin, mais à ceux d’un vrai philosophe; et à l’égard des raisons que Dieu pouvait avoir d’ordonner un tel déjeuner au prophète, ce n’est pas à nous de les demander.
Il suffit de faire voir que ces commandements, qui nous paraissent étranges, ne le parurent pas aux Juifs. Il est vrai que la synagogue ne permettait pas, du temps de saint Jérôme, la lecture d’Ézéchiel avant l’âge de trente ans; mais c’était parce que, dans le chapitre xviii, il dit que le fils ne portera plus l’iniquité de son père, et qu’on ne dira plus: « Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents de leurs enfants en sont agacées. »
En cela il se trouvait expressément en contradiction avec Moïse qui, au chapitre xxviii des Nombres, assure que les enfants portent l’iniquité des pères jusqu’à la troisième et quatrième génération.
Ezéchiel, au chapitre xx, fait dire encore au Seigneur qu’il a donné aux Juifs des préceptes qui ne sont pas bons. Voilà pourquoi la synagogue interdisait aux jeunes gens une lecture qui pouvait faire douter de l’irréfragabilité des lois de Moïse. Les Censeurs de nos jours sont encore plus étonnés du chapitre xvi d’Ézéchiel: voici comme le prophète s’y prend pour faire connaître les crimes de Jérusalem. Il introduit le Seigneur parlant à une fille, et le Seigneur dit à la fille: Lorsque vous naquîtes, on ne vous avait point encore coupé le boyau du nombril, on ne vous avait point salée, vous étiez toute nue, j’eus pitié de vous; vous êtes devenue grande, votre sein s’est formé, votre poil a paru; j’ai passé, je vous ai vue, j’ai connu que c’était le temps des amants; j’ai couvert votre ignominie; je me suis étendu sur vous avec mon manteau; vous avez été à moi; je vous ai lavée, parfumée, bien habillée, bien chaussée; je vous ai donné une écharpe de coton, des bracelets, un collier; je vous ai mis une pierrerie au nez, des pendants d’oreilles, et une couronne sur la tête, etc.
Alors ayant confiance à votre beauté; vous avez forniqué pour votre compte avec tous les passants….. Et vous avez bâti un mauvais lieu et vous vous êtes prostituée jusque dans les places publiques, et vous avez ouvert vos jambes à tous les passants…., et vous avez couché avec des Égyptiens et enfin vous avez payé des amants, et vous leur avez fait des présents afin qu’ils couchassent avec vous…..; et en payant, au lieu d’être payée vous avez fait le contraire des autres filles….. Le proverbe est, telle mère, telle fille; et c’est ce qu’on dit de vous, etc. »
On s’élève encore davantage contre le chapitre xxiii. Une mère avait deux filles qui ont perdu leur virginité de bonne heure: la plus grande s’appelait Oolla, et la petite Ooliba… Oolla a été folle des jeunes seigneurs, magistrats, cavaliers; elle a couché avec des Égyptiens dès sa première jeunesse….. Ooliba, sa soeur, a bien plus forniqué encore avec des officiers, des magistrats, et des cavaliers bien faits: elle a découvert sa turpitude; elle a multiplié ses fornications; elle a recherché avec emportement les embrassements de ceux qui ont le membre comme un âne, et qui répandent leur semence comme des chevaux…..
Ces descriptions, qui effarouchent tant d’esprits faibles, ne signifient pourtant que les iniquités de Jérusalem et de Samarie; les expressions qui nous paraissent libres ne l’étaient point alors. La même naïveté se montre sans crainte dans plus d’un endroit de l’Écriture. Il est souvent parlé d’ouvrir la vulve. Les termes dont elle se sert pour exprimer l’accouplement de Booz avec Ruth, de Juda avec sa belle-fille, ne sont point déshonnêtes en hébreu, et le seraient en notre langue.
On ne se couvre point d’un voile quand on n’a pas honte de sa nudité; comment dans ces temps-là aurait-on rougi de nommer les génitoires, puisqu’on touchait les génitoires de ceux à qui l’on faisait quelque promesse? c’était une marque de respect, un symbole de fidélité, comme autrefois parmi nous les seigneurs châtelains mettaient leurs mains entre celles de leurs seigneurs paramonts.
Nous avons traduit les génitoires par cuisse. Eliézer met la main sous la cuisse d’Abraham; Joseph met la main sous la cuisse de Jacob. Cette coutume était fort ancienne en Égypte. Les Égyptiens étaient si éloignés d’attacher de la turpitude à ce que nous n’osons ni découvrir ni nommer, qu’ils portaient en procession une grande figure du membre viril nommé phallum, pour remercier les dieux de faire servir ce membre à la propagation du genre humain.
Tout cela prouve assez que nos bienséances ne sont pas les bienséances des autres peuples., Dans quel temps y a-t-il eu chez les Romains plus de politesse que du temps du siècle d’Auguste? cependant Horace ne fait nulle difficulté de dire dans une pièce morale:

Nec vereor ne, dum futuo, vir rure recurrat.

Un homme qui prononcerait parmi nous le mot qui répond à futuo serait regardé comme un crocheteur ivre; ce mot, et plusieurs autres dont se servent Horace et d’autres auteurs, nous paraît encore plus indécent que les expressions d’Ézéchiel. Défaisons-nous de tous nos préjugés quand nous lisons d’anciens auteurs, ou que nous voyageons chez des nations éloignées. La nature est la même partout, et les usages partout différents.

État, Gouvernements – Staats- und Regierungsformen (Originaltext)

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Quel est le meilleur?

Je n’ai connu jusqu’à présent personne qui n’ait gouverné quelque État. Je ne parle pas de MM. les ministres, qui gouvernent en effet, les uns deux ou trois ans, les autres six mois, les autres six semaines; je parle de tous les autres hommes qui, à souper ou dans leur cabinet, étaient leur système de gouvernement, réforment les armées, l’Église, la robe, et la finance.
L’abbé de Bourzeis se mit à gouverner la France vers l’an 1645, sous le nom du cardinal de Richelieu, et fit ce Testament politique, dans lequel il veut enrôler la noblesse dans la cavalerie pour trois ans, faire payer la taille aux chambres des comptes et aux parlements, priver le roi du produit de la gabelle; il assure surtout que pour entrer en campagne avec cinquante mille hommes, il faut par économie en lever cent mille. Il affirme que la Provence seule a beaucoup plus de beaux ports de mer que l’Espagne et l’Italie ensemble.
L’abbé de Bourzeis n’avait pas voyagé. Au reste, son ouvrage fourmille d’anachronismes et d’erreurs; il fait signer le cardinal de Richelieu d’une manière dont il ne signa jamais, ainsi qu’il le fait parler comme il n’a jamais parlé. Au surplus, il emploie un chapitre entier à dire que la raison doit être la règle d’un État, et à tâcher de prouver cette découverte. Cet ouvrage de ténèbres, ce bâtard de l’abbé de Bourzeis a passé longtemps pour le fils légitime du cardinal de Richelieu; et tous les académiciens, dans leurs discours de réception, ne manquaient pas de louer démesurément ce chef-d’oeuvre de politique.
Le sieur Gatien de Courtilz, voyant le succès du Testament politique de Richelieu, fit imprimer à la Haye le Testament de Colbert, avec une belle lettre de M. Colbert au roi. Il est clair que si ce ministre avait fait un pareil testament, il eût fallu l’interdire; cependant ce livre a été cité par quelques auteurs.
Un autre gredin, dont on ignore le nom, ne manqua pas de donner le Testament de Louvois, plus mauvais encore, s’il se peut, que celui de Colbert; un abbé de Chevremont fit tester aussi Charles, duc de Lorraine. Nous avons eu les Testaments politiques du cardinal Alberoni, du maréchal de Belle-Isle, et enfin celui de Mandrin.
M. de Bois-Guillebert, auteur du Détail de la France, imprimé en 1695, donna le projet inexécutable de la dîme royale sous le nom du maréchal de Vauban.
Un fou, nommé La Jonchère, qui n’avait pas de pain, fit, en 1720, un projet de finance en quatre volumes; et quelques sots ont cité cette production comme un ouvrage de La Jonchère le trésorier général, s’imaginant qu’un trésorier ne peut faire un mauvais livre de finance.
Mais il faut convenir que des hommes très sages, très dignes peut-être de gouverner, ont écrit sur l’administration des États, soit en France, soit en Espagne, soit en Angleterre. Leurs livres ont fait beaucoup de bien; ce n’est pas qu’ils aient corrigé les ministres qui étaient en place quand ces livres parurent, car un ministre ne se corrige point et ne peut se corriger; il a pris sa croissance; plus d’instructions, plus de conseils; il n’a pas le temps de les écouter; le courant des affaires l’emporte: mais ces bons livres forment les jeunes gens destinés aux places; ils forment les princes, et la seconde génération est instruite.
Le fort et le faible de tous les gouvernements a été examiné de près dans les derniers temps. Dites-moi donc, vous qui avez voyagé, qui avez lu et vu, dans quel État, dans quelle sorte de gouvernement voudriez-vous être né? Je conçois qu’un grand seigneur terrien en France ne serait pas fâché d’être né en Allemagne; il serait souverain au lieu d’être sujet. Un pair de France serait fort aise d’avoir les privilèges de la pairie anglaise; il serait législateur.
L’homme de robe et le financier se trouveraient mieux en France qu’ailleurs.
Mais quelle patrie choisirait un homme sage, libre, un homme d’une fortune médiocre, et sans préjugés?
Un membre du conseil de Pondichéri, assez savant, revenait en Europe par terre avec un brame, plus instruit que les brames ordinaires. Comment trouvez-vous le gouvernement du Grand-Mogol? dit le conseiller. Abominable, répondit le brame. Comment voulez-vous qu’un État soit heureusement gouverné par des Tartares? Nos raïas, nos omras, nos nababs, sont fort contents, mais les citoyens ne le sont guère, et des millions de citoyens sont quelque chose.
Le conseiller et le brame traversèrent en raisonnant toute la haute Asie. Je fais une réflexion, dit le brame; c’est qu’il n’y a pas une république dans toute cette vaste partie du monde. Il y a eu autre fois celle de Tyr, dit le conseiller, mais elle n’a pas duré longtemps. Il y en avait encore une autre vers l’Arabie-Pétrée, dans un petit coin nommé la Palestine, si on peut honorer du nom de république une horde de voleurs et d’usuriers, tantôt gouvernée par des juges, tantôt par des espèces de rois, tantôt par des grands pontifes, devenue esclave sept ou huit fois, et enfin chassée du pays qu’elle avait usurpé.
Je conçois, dit le brame, qu’on ne doit trouver sur la terre que très peu de républiques. Les hommes sont rarement dignes de se gouverner eux-mêmes. Ce bonheur ne doit appartenir qu’à des petits peuples qui se cachent dans les îles, ou entre les montagnes, comme des lapins qui se dérobent aux animaux carnassiers; mais à la longue ils sont découverts et dévorés.
Quand les deux voyageurs furent arrivés dans l’Asie Mineure, le conseiller dit au brame: Croiriez-vous bien qu’il y a eu une république formée dans un coin de l’Italie, qui a duré plus de cinq cents ans, et qui a possédé cette Asie Mineure, l’Asie, l’Afrique, la Grèce, les Gaules, l’Espagne et l’Italie entière? Elle se tourna donc bien vite en monarchie? dit le brame. Vous l’avez deviné, dit l’autre; mais cette monarchie est tombée, et nous faisons tous les jours de belles dissertations pour trouver les causes de sa décadence et de sa chute. Vous prenez bien de la peine, dit l’Indien; cet empire est tombé parce qu’il existait. Il faut bien que tout tombe; j’espère bien qu’il en arrivera tout autant à l’empire du Grand-Mogol.
A propos, dit l’Européen, croyez-vous qu’il faille plus d’honneur dans un État despotique, et plus de vertu dans une république? L’Indien s’étant fait expliquer ce qu’on entend par honneur, répondit que l’honneur était plus nécessaire dans une république, et qu’on avait bien plus besoin de vertu dans un État monarchique. Car, dit-il, un homme qui prétend être élu par le peuple ne le sera pas s’il est déshonoré; au lieu qu’à la cour il pourra aisément obtenir une charge, selon la maxime d’un grand prince, qu’un courtisan, pour réussir, doit n’avoir ni honneur ni humeur. A l’égard de la vertu, il en faut prodigieusement dans une cour pour oser dire la vérité. L’homme vertueux est bien plus à son aise dans une république; il n’a personne à flatter.
Croyez-vous, dit l’homme d’Europe, que les lois et les religions soient faites pour les climats, de même qu’il faut des fourrures à Moscou et des étoffes de gaze à Delhi? Oui, sans doute, dit le brame; toutes les lois qui concernent la physique sont calculées pour le méridien qu’on habite; il ne faut qu’une femme à un Allemand, et il on faut trois ou quatre à un Persan.
Les rites de la religion sont de même nature. Comment voudriez-vous, si j’étais chrétien, que je disse la messe dans ma province, où il n’y a ni pain ni vin? A l’égard des dogmes, c’est autre chose; le climat n’y fait rien. Votre religion n’a-t-elle pas commencé en Asie, d’où elle a été chassée? N’existe-t-elle pas vers la mer Baltique, où elle était inconnue?
Dans quel État, sous quelle domination aimeriez-vous mieux vivre? dit le conseiller. Partout ailleurs que chez moi, dit son compagnon; et j’ai trouvé beaucoup de Siamois, de Tunquinois, de Persans et de Turcs qui en disaient autant. Mais, encore une fois, dit l’Européen, quel État choisiriez-vous? Le brame répondit: Celui où l’on n’obéit qu’aux lois. C’est une vieille réponse, dit le conseiller. Elle n’en est pas plus mauvaise, dit le brame. Où est ce pays-là? dit le conseiller. Le brame dit: Il faut le chercher.