Miracles-Wunder (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Miracles (Wunder) aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Un miracle, selon l’énergie du mot, est une chose admirable. En ce cas, tout est miracle. L’ordre prodigieux de la nature, la rotationde cent millions de globes autour d’un million de soleils, l’activitéde la lumière, la vie des animaux, sont des miracles perpétuels.
Selon les idées reçues, nous appelons miracle la violationde ces lois divines et éternelles. Qu’il y ait une éclipsede soleil pendant la pleine lune, qu’un mort fasse à pied deux lieuesde chemin en portant sa tête entre ses bras, nous appelons cela unmiracle.
Plusieurs physiciens soutiennent qu’en ce sens il n’y a point de miracles,et voici leurs arguments.
Un miracle est la violation des lois mathématiques, divines,immuables, éternelles. Par ce seul exposé, un miracle est une contradiction dans les termes une loi ne peut être à lafois immuable et violée. Mais une loi, leur dit-on, étant établie par Dieu même, ne peut-elle être suspendue parson auteur? Ils ont la hardiesse de répondre que non, et qu’il est impossible que l’Être infiniment sage ait fait des lois pour les violer. Il ne pouvait, disent-ils, déranger sa machine que pour la faire mieux aller; or il est clair qu’étant Dieu, il a fait cette immense machine aussi bonne qu’il l’a pu: s’il a vu qu’il y aurait quelque imperfection résultante de la nature du la matière,il y a pourvu dès le commencement; ainsi il n’y changera jamais rien.
De plus, Dieu ne peut rien faire sans raison; or quelle raison le porterait à défigurer pour quelque temps son propre ouvrage?
« C’est en faveur des hommes, leur dit-on. — C’est donc au moins en faveur de tous les hommes, répondent-ils; car il est impossible de concevoir que la nature divine travaille pour quelques hommes en particulier,et non pas pour tout le genre humain: encore même le genre humain est bien peu de chose: il est beaucoup moindre qu’une petite fourmilière en comparaison de tous les êtres qui remplissent l’immensité. Or n’est-ce pas la plus absurde des folies d’imaginer que l’Être infini intervertisse en faveur de trois ou quatre centaines de fourmis,sur ce petit amas de fange, le jeu éternel de ces ressorts immenses qui font mouvoir tout l’univers?
« Mais supposons que Dieu ait voulu distinguer un petit nombre d’hommes par des faveurs particulières; faudra-t-il qu’il change ce qu’il a établi pour tous les temps et pour tous les lieux? Il n’a certes aucun besoin de ce changement, de cette circonstance, pour favoriser ses créatures; ses faveurs sont dans ses lois mêmes. Il atout prévu, tout arrangé pour elles; toutes obéissent irrévocablement à la force qu’il a imprimée pour jamais dans la nature.
« Pourquoi Dieu ferait-il un miracle? Pour venir à bout d’un certain dessein sur quelques êtres vivants! Il dirait donc: Je n’ai pu parvenir par la fabrique de l’univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles, à remplir un certain dessein; je vais changer mes éternelles idées, mes lois immuables,pour tâcher d’exécuter ce que je n’ai pu faire par elles.» Ce serait un aveu de sa faiblesse, et non de sa puissance; ce serait,ce semble, dans lui la plus inconcevable contradiction. Ainsi donc, oser supposer à Dieu des miracles, c’est réellement l’insulter (si des hommes peuvent insulter Dieu). C’est lui dire: Vous êtes un être faible et inconséquent. Il est donc absurde de croire des miracles; c’est déshonorer en quelque sorte la Divinité.
On presse ces philosophes; on leur dit: « Vous avez beau exalter l’immutabilité de l’Être suprême, l’éternitéde ses lois, la régularité de ses mondes infinis; notre petit tas de boue a été couvert de miracles; les histoires sont aussi remplies de prodiges que d’événements naturels. Les filles du grand prêtre Anius changeaient tout ce qu’elles voulaient en blé, en vin, ou en huile; Athalide, fille de Mercure, ressuscita plusieurs fois; Esculape ressuscita Hippolyte; Hercule arracha Alcesteà la mort; Hérès revint au monde après avoir passé quinze jours dans les enfers; Romulus et Rémus naquirent d’un dieu et d’une vestale; le palladium tomba du ciel dans la ville de Troie; la chevelure de Bérénice devint un assemblage d’étoiles;la cabane de Baucis et de Philémon fut changée en un superbe temple; la tête d’Orphée rendait des oracles aprèssa mort: les murailles de Thèbes se construisirent d’elles-mêmes au son de la flûte, en présence des Grecs; les guérisons faites dans le temple d’Esculape étaient innombrables, et nous avons encore des monuments chargés du nom des témoins oculaires des miracles d’Esculape.
Nommez-moi un peuple chez lequel il ne se soit pas opérédes prodiges incroyables, surtout dans des temps où l’on savait à peine lire et écrire.
Les philosophes ne répondent à ces objections qu’en riant et en levant les épaules; mais les philosophes chrétiens disent: « Nous croyons aux miracles opérés dans notre sainte religion; nous les croyons par la foi et non par la raison que nous nous gardons bien d’écouter; car lorsque la foi parle, on sait assez que la raison ne doit pas dire un seul mot: nous avons une croyance ferme et entière dans les miracles de Jésus-Christ et des apôtres, mais permettez-nous de douter un peu de plusieurs autres; souffrez, par exemple, que nous suspendions notre jugement sur ce que rapporte un homme simple auquel on a donné le nom de grand. Il assure qu’un petit moine était si fort accoutumé de faire des miracles, quele prieur lui défendit enfin d’exercer son talent. Le petit moine obéit; mais ayant vu un pauvre couvreur qui tombait du haut d’un toit, il balança entre le désir de lui sauver la vie et la sainte obédience. Il ordonna seulement au couvreur de rester en l’air jusqu’à nouvel ordre, et courut vite conter à son prieur l’état des choses. Le prieur lui donna l’absolution du péché qu’il avait commis en commençant un miracle sans permission, et lui permit de l’achever, pourvu qu’il s’en tînt là, et qu’il n’y revînt plus. On accorde aux philosophes qu’il faut un peu se défier de cette histoire.
Mais comment oseriez-vous nier, leur dit-on, que saint Gervais et saint Protais aient apparu en songe à saint Ambroise, qu’ils lui aient enseigné l’endroit où étaient leurs reliques? Que saint Ambroise les ait déterrées, et qu’elles aient guériun aveugle? » Saint Augustin était alors à Milan; c’est lui qui rapporte ce miracle, immenso populo teste, dit-il dans sa Cité de Dieu, livre XXII. Voilà un miracle des mieux constatés. Les philosophes disent qu’ils n’en croient rien, que Gervais et Protaisn’apparaissent à personne, qu’il importe fort peu au genre humain qu’on sache où sont les restes de leurs carcasses; qu’ils n’ont pas plus de foi à cet aveugle qu’à celui de Vespasien; que c’est un miracle inutile, que Dieu ne fait rien d’inutile; et ils se tiennent fermes dans leurs principes. Mon respect pour saint Gervais et saint Protaisne me permet pas d’être de l’avis de ces philosophes; je rends compte seulement de leur incrédulité. Ils font grand cas du passage de Lucien qui se trouve dans la mort de Peregrinus: « Quand un joueur de gobelets adroit se fait chrétien, il est sûr de faire fortune.» Mais comme Lucien est un auteur profane, il ne doit avoir aucune autorité parmi nous.
Ces philosophes ne peuvent se résoudre à croire les miracles opérés dans le IIe siècle. Des témoins oculaires ont beau écrire que l’évêque de Smyrne, saint Polycarpe, ayant été condamné à être brûlé, et étant jeté dans les flammes, ils entendirent une voix du ciel qui criait: « Courage, Polycarpe, sois fort, montre-toi homme; » qu’alors les flammes du bûcher s’écartèrent de son corps, et formèrent un pavillon de feu au-dessus de sa tête, et que du milieu du bûcher il sortit une colombe; enfin on fut obligé de trancher la tête de Polycarpe. « A quoi bon ce miracle? disent les incrédules; pourquoi les flammes ont-elles perdu leur nature, et pourquoi la hache de l’exécuteur n’a-t-elle pas perdu la sienne? D’où vient que tant de martyrs sont sortis sains et saufs de l’huile bouillante, et n’ont pu résister au tranchant du glaive?» On répond que c’est la volonté de Dieu. Mais les philosophes voudraient avoir vu tout cela de leurs yeux avant de le croire.
Ceux qui fortifient leurs raisonnements par la science vous diront que les Pères de l’Église ont avoué souvent eux-mêmes qu’il ne se faisait plus de miracles de leur temps. Saint Chrysostome dit expressément: « Les dons extraordinaires de l’Esprit étaient donnés même aux indignes, parce qu’alors l’Église avait besoin de miracles; mais aujourd’hui ils ne sont pas même donnés aux dignes, parce que l’Église n’en a plus besoin. » Ensuite il avoue qu’il n’y a plus personne qui ressuscite les morts, ni même qui guérisse les malades. Saint Augustin lui-même, malgré le miracle de Gervais et de Protais, dit, dans sa Cité de Dieu: « Pourquoi ces miracles qui se faisaient autrefois ne se font-ils plus aujourd’hui? » et il en donne la même raison. Cur, inquiunt, nunc illa miraculaquae praedicatis facta esse non fiunt? Possem quidem dicere necessariaprius fuisse quam crederet mundus, ad hoc ut crederet mundus. On objecte aux philosophes que saint Augustin, malgré cet aveu parle pourtant d’un vieux savetier d’Hippone qui, ayant perdu son habit, alla prier à la chapelle des vingt martyrs; qu’en retournant il trouva un poisson dans le corps duquel il y avait un anneau d’or, et que le cuisinier qui fit cuire le poisson dit au savetier: « Voilàce que les vingt martyrs vous donnent. » A cela les philosophes répondent qu’il n’y a rien dans cette histoire qui contredise les lois de la nature, que la physique n’est point du tout blessée qu’un poisson ait avalé un anneau d’or, et qu’un cuisinier ait donné cet anneau à un savetier; qu’il n’y a là aucun miracle. Si on fait souvenir ces philosophes que, selon saint Jérôme,dans sa Vie de l’ermite Paul, cet ermite eut plusieurs conversations avec des satyres et avec des faunes; qu’un corbeau lui apporta tous les jours pendant trente ans la moitié d’un pain pour son dîner, et un pain tout entier le jour que saint Antoine vint le voir, ils pourront répondre encore que tout cela n’est pas absolument contre la physique, que des satyres et des faunes peuvent avoir existé, et qu’en tout cas, si ce conte est une puérilité, cela n’a rien de commun avec les vrais miracles du Sauveur et de ses apôtres. Plusieurs bons chrétiens ont combattu l’histoire de saint Siméon Stylite, écrite par Théodoret; beaucoup de miracles qui passent pour authentiques dans l’Église grecque ont été révoqués en doute par plusieurs Latins, de même que des mirados latins ont été suspects à l’Église grecque; les protestants sont venus ensuite, qui ont fort maltraité les miracles de l’une et l’autre Église. Un savant jésuite, qui a prêché longtemps dans les Indes, se plaint de ce que ni ses confrères ni lui n’ont jamais pu faire de miracle. Xavier se lamente, dans plusieurs de ses lettres, de n’avoir point le don des langues; il dit qu’il n’est chez les Japonais que comme une statue muette cependant les jésuites ont écrit qu’il avait ressuscité huit morts; c’est beaucoup: mais il faut aussi considérer qu’il les ressuscitait à sixmille lieues d’ici. Il s’est trouvé depuis des gens qui ont prétendu que l’abolissement des jésuites en France est un beaucoup plus grand miracle que ceux de Xavier et d’Ignace. Quoi qu’il en soit, tous les chrétiens conviennent que les miracles de Jésus-Christ et des apôtres sont d’une vérité incontestable; mais qu’on peut douter à toute force de quelques miracles faits dans nos derniers temps, et qui n’ont pas eu une authenticité certaine. On souhaiterait, par exemple, pour qu’un miracle fût bien constaté, qu’il fût fait en présence de l’Académie des sciences de Paris, ou de la Société royale de Londres, et de la Faculté de médecine assistées d’un détachement du régiment des gardes, pour contenir la foule du peuple, qui pourrait, par son indiscrétion, empêcher l’opération du miracle. On demandait un jour à un philosophe ce qu’il dirait s’il voyait le soleil s’arrêter, c’est-à-dire si le mouvement de la terre autour de cet astre cessait, si tous les morts ressuscitaient, et si toutes les montagnes allaient se jeter de compagnie dans la mer, le tout pour prouver quelque vérité importante, comme, par exemple, lagrâce versatile. « Ce que je dirais? répondit le philosophe,je me ferais manichéen; je dirais qu’il y a un principe qui défaitce que l’autre a fait. »