Philosophisches Wörterbuch: Tout est bien – Alles ist gut (Originaltext)

Wir geben hier den Artikel Tout est bien – Alles ist gut aus der ersten Ausgabe des Philosophischen Wörterbuchs von 1764 in französischer Sprache wieder.


Ce fut un beau bruit dans les écoles, et même parmi les gens qui raisonnent, quand Leibniz en paraphrasant Platon bâtit son édifice du meilleur des mondes possibles, et qu’il imagina que tout allait au mieux. Il affirma dans le nord de l’Allemagne que Dieu ne pouvait faire qu’un seul monde. Platon lui avait au moins laissé la liberté de faire cinq: par la raison qu’il n’y a que cinq corps solides réguliers en géométrie, le tétraèdre, ou la pyramide à trois faces, avec la base égale, le cube, l’hexaèdre, le dodécaèdre, l’icosaèdre. Mais comme nôtre monde n’est de la forme des cinq corps de Platon, il devait permettre à Dieu une sixième manière.
Laissons- à le divin Platon. Leibniz que était assurément meilleur géomètre que lui, et plus profond métaphysicien, rendit donc le service au genre humain de lui faire voir que nous devons être très-content, et que Dieu ne pouvait pas avantage pour nous: qu’il avait nécessairement choisit entre tous les partis possibles, le meilleur, sans contredit.
Que deviendra le péché originel? Lui criait-on. Il deviendra ce qu’il pourra disaient Leibniz et ses amis: mais en public il écrivait que le péché originel entrait nécessairement dans le meilleur des mondes.
Quoi! être chassé d’un lieu de délices, où l’on aurait vécu à jamais si on n’avait pas mangé une pomme! Quoi! faire dans la misère des enfants misérables et criminels, qui souffriront tout, qui feront tout souffrir aux autres! Quoi! éprouver toutes les maladies, sentir tous les chagrins, mourir dans la douleur, et pour rafraîchissement être brûlé dans l’éternité des siècles! ce partage est-il bien ce qu’il y avait de meilleur? Cela n’est pas trop bon pour nous; et en quoi cela peut-il être bon pour Dieu?
Leibnitz sentait qu’il n’y avait rien à répondre: aussi fit-il de gros livres dans lesquels il ne s’entendait pas.
Nier qu’il y ait du mal, cela peut être dit en riant par un Lucullus qui se porte bien, et qui fait un bon dîner avec ses amis et sa maîtresse dans le salon d’Apollon; mais qu’il mette la tête à la fenêtre, il verra des malheureux; qu’il ait la fièvre, il le sera lui-même.
Je n’aime point à citer; c’est d’ordinaire une besogne épineuse; on néglige ce qui précède et ce qui suit l’endroit qu’on cite, et on s’expose à mille querelles. Il faut pourtant que je cite Lactance, Père de l’Église, qui dans son chapitre 13. de la colère de Dieu, fait parler ainsi Épicure: “Ou Dieu veut ôter le mal de ce monde, et ne le peut; ou il le peut, et ne le veut pas; ou il ne le peut, ni ne le veut; ou enfin il le veut, et le peut. S’il le veut, et ne le peut pas, c’est impuissance, ce qui est contraire à la nature de Dieu; s’il le peut, et ne le veut pas, c’est méchanceté, et cela est non moins contraire à sa nature; s’il ne le veut ni ne le peut, c’est à la fois méchanceté et impuissance; s’il le veut et le peut (ce qui seul de ces partis convient à Dieu), d’où vient donc le mal sur la terre?”
L’argument est pressant; aussi Lactance y répond fort mal, en disant que Dieu veut le mal, mais qu’il nous a donné la sagesse avec la quelle on acquiert le bien. Il faut avouer que cette réponse est bien faible en comparaison de l’objection; car elle suppose que Dieu ne pouvait donner la sagesse qu’en produisant le mal; et puis, nous avons une plaisante sagesse!
L’origine du mal a toujours été un abîme dont personne n’a pu voir le fond. C’est ce qui réduisit tant d’anciens philosophes et de législateurs à recourir à deux principes, l’un bon, l’autre mauvais. Typhon était le mauvais principe chez les Égyptiens, Arimane chez les Perses. Les manichéens adoptèrent, comme on sait, cette théologie; mais comme ces gens-là n’avaient jamais parlé ni au bon ni au mauvais principe, il ne faut pas les en croire sur parole.
Parmi les absurdités dont ce monde regorge, et qu’on peut mettre au nombre de nos maux, ce n’est pas une absurdité légère que d’avoir supposé deux êtres tout-puissants, se battant à qui des deux mettrait plus du sien dans ce monde, et faisant un traité comme les deux médecins de Molière: passez-moi l’émétique, et je vous passerai la saignée.
Basilide, après les platoniciens, prétendit, dès le premier siècle de l’Église, que Dieu avait donné notre monde à faire à ses derniers anges; et que ceux-ci, n’étant pas habiles, firent les choses telles que nous les voyons. Cette fable théologique tombe en poussière par l’objection terrible qu’il n’est pas dans la nature d’un Dieu tout-puissant et tout sage de faire bâtir un monde par des architectes qui n’y entendent rien.
Simon, qui a senti l’objection, la prévient en disant que l’ange qui présidait à l’atelier est damné pour avoir si mal fait son ouvrage; mais la brûlure de cet ange ne nous guérit pas.
L’aventure de Pandore chez les Grecs ne répond pas mieux à l’objection. La boîte où se trouvent tous les maux, et au fond de laquelle reste l’espérance, est à la vérité une allégorie charmante; mais cette Pandore ne fut faite par Vulcain que pour se venger de Prométhée, qui avait fait un homme avec de la boue.
Les Indiens n’ont pas mieux rencontré; Dieu ayant créé l’homme, il lui donna une drogue qui lui assurait une santé permanente; l’homme chargea son âne de la drogue, l’âne eut soif, le serpent lui enseigna une fontaine; et pendant que l’âne buvait, le serpent prit la drogue pour lui.
Les Syriens imaginèrent que l’homme et la femme ayant été créés dans le quatrième ciel, ils s’avisèrent de manger d’une galette au lieu de l’ambroisie qui était leur mets naturel. L’ambroisie s’exhalait par les pores; mais après avoir mangé de la galette, il fallait aller à la selle. L’homme et la femme prièrent un ange de leur enseigner où était la garde-robe. « Voyez-vous, leur dit l’ange, cette petite planète, grande comme rien, qui est à quelque soixante millions de lieues d’ici? c’est là le privé de l’univers; allez-y au plus vite. Ils y allèrent, on les y laissa; et c’est depuis ce temps que notre monde fut ce qu’il est.
On demandera toujours aux Syriens pourquoi Dieu permit que l’homme mangeât la galette, et qu’il nous en arrivât une foule de maux si épouvantables.
Je passe vite de ce quatrième ciel à milord Bolingbroke, pour ne pas m’ennuyer. Cet homme, qui avait sans doute un grand génie, donna au célèbre Pope son plan du Tout est bien, qu’on retrouve en effet mot pour mot dans les Oeuvres posthumes de milord Bolingbroke, et que milord Shaftesbury avait auparavant inséré dans ses Caractéristiques. Lisez dans Shaftesbury le chapitre des moralistes, vous y verrez ces paroles:
”On a beaucoup à répondre à ces plaintes des défauts de la nature. Comment est-elle sortie si impuissante et si défectueuse des mains d’un être parfait? mais je nie qu’elle soit défectueuse…. Sa beauté résulte des contrariétés, et la concorde universelle naît d’un combat perpétuel…. Il faut que chaque être soit immolé à d’autres, les végétaux aux animaux, les animaux à la terre…. et les lois du pouvoir central et de la gravitation, qui donnent aux corps célestes leur poids et leur mouvement, ne seront point dérangées pour l’amour d’un chétif animal qui, tout protégé qu’il est par ces mêmes lois, sera bientôt par elles réduit en poussière.”
Bolingbroke, Shaftesbury, et Pope leur metteur en oeuvre, ne résolvent pas mieux la question que les autres leur tout est bien ne veut dire autre chose, sinon que le tout est dirigé par des lois immuables; qui ne le sait pas? Vous ne nous apprenez rien quand vous remarquez, après tous les petits enfants, que les mouches sont nées pour être mangées par des araignées, les araignées par des hirondelles, les hirondelles par les pies-grièches, les pies-grièches par les aigles, les aigles pour être tués par les hommes, les hommes pour se tuer les uns les autres, et pour être mangés par les vers, et ensuite par les diables, au moins mille sur un.
Voilà un ordre net et constant parmi les animaux de toute espèce; il y a de l’ordre partout. Quand une pierre se forme dans ma vessie c’est une mécanique admirable: des sucs pierreux passent petit à petit dans mon sang, ils se filtrent dans les reins, passent par les uretères, se déposent dans ma vessie, s’y assemblent par une excellente attraction newtonienne; le caillou se forme, se grossit, je souffre des maux mille fois pires que la mort, par le plus bel arrangement du monde; un chirurgien, ayant perfectionné l’art inventé par Tubalcain, vient m’enfoncer un fer aigu et tranchant dans le périnée, saisit ma pierre avec ses pincettes, elle se brise sous ses efforts par un mécanisme nécessaire; et par le même mécanisme je meurs dans des tourments affreux: tout cela est bien, tout cela est la suite évidente des principes physiques inaltérables: j’en tombe d’accord, et je le savais comme vous.
Si nous étions insensibles, il n’y aurait rien à dire à cette physique. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit; nous vous demandons s’il n’y a point de maux sensibles, et d’où ils nous viennent. Il n’y a point de maux, dit Pope dans sa quatrième épître sur le tout est bien; s’il y a des maux particuliers, ils composent le bien général.
Voilà un singulier bien général, composé de la pierre, de la goutte, de tous les crimes, de toutes les souffrances, de la mort et de la damnation.
La chute de l’homme est l’emplâtre que nous mettons à toutes ces maladies particulières du corps et de l’âme, que vous appelez santé générale; mais Shaftesbury et Bolingbroke ont osé attaquer le péché originel; Pope n’en parle point; il est clair que leur système sape la religion chrétienne par ses fondements et n’explique rien du tout.
Cependant ce système a été approuvé depuis peu par plusieurs théologiens, qui admettent volontiers les contraires; à la bonne heure, il ne faut envier à personne la consolation de raisonner comme il peut sur le déluge de maux qui nous inonde. Il est juste d’accorder aux malades désespérés de manger de ce qu’ils veulent. On a été jusqu’à prétendre que ce système est consolant. Dieu, dit Pope, voit d’un même oeil périr le héros et le moineau, un atome ou mille planètes précipitées dans la ruine, une boule de savon ou un monde se former.
Voilà, je vous l’avoue, une plaisante consolation; ne trouvez-vous pas un grand lénitif dans l’ordonnance de milord Shaftesbury, qui dit que Dieu n’ira pas déranger ses lois éternelles pour un animal aussi chétif que l’homme? Il faut avouer du moins que ce chétif animal a droit de crier humblement, et de chercher à comprendre, en criant pourquoi ces lois éternelles ne sont pas faites pour le bien-être de chaque individu.
Ce système du tout est bien ne représente l’auteur de toute la nature que comme un roi puissant et malfaisant, qui ne s’embarrasse pas qu’il en coûte la vie à quatre ou cinq cent mille hommes, et que les autres traînent leurs jours dans la disette et dans les larmes, pourvu qu’il vienne à bout de ses desseins.
Loin donc que l’opinion du meilleur des mondes possibles console, elle est désespérante pour les philosophes qui l’embrassent. La question du bien et du mal demeure un chaos indébrouillable pour ceux qui cherchent de bonne foi; c’est un jeu d’esprit pour ceux qui disputent; ils sont des forçats qui jouent avec leurs chaînes. Pour le peuple non pensant, il ressemble assez à des poissons qu’on a transportés d’une rivière dans un réservoir; ils ne se doutent pas qu’ils sont là pour être mangés le carême: aussi ne savons-nous rien du tout par nous-mêmes des causes de notre destinée.
Mettons à la fin de presque tous les chapitres de métaphysique les deux lettres des juges romains quand ils n’entendaient pas une cause, L. N., non liquet, Cela n’est pas clair.